samedi 9 décembre 2017

Macron, ou l’oligarchie financière au pouvoir (1)


Ci-dessous, un article rédigé il y a trois mois à l'invitation de l'1dex Mag, publication papier suisse, aussi originale que méritante.


En fait, on a tous eu la berlue : François Fillon n’a pas été éliminé au premier tour de l’élection présidentielle, et il a même remporté le second. Il a pu ainsi mettre en œuvre ses principales mesures : par exemple, une attaque contre les protection dont jouissaient les travailleurs par le biais de la « réforme » du Code du travail, le gel du point d’indice des fonctionnaires en attendant, en bonne logique, celui de leurs carrières, la suppression du jour de carence pour ces mêmes fonctionnaires en jouant sur les mots : désormais « absence » est devenu « absentéisme » ; la suppression du tiers payant généralisé suite à la pression des médecins libéraux ; la diminution de l’aide au logement pour les pauvres et le miséreux ; la fin programmée des juridictions prudhommales ; des avantages fiscaux pour les très riches (payés par les classes moyennes). La liste s’allonge quotidiennement.


L’histoire dira peut-être un jour à des observateurs stupéfaits que l’élection d’Emmanuel Macron fut le résultat d’un véritable complot. Certes, quand on parle de complot, on passe pour quelqu’un de droite. Mais enfin, tout de même, cette élection à la magistrature suprême d’un jeunot inconnu trois ans auparavant, même s’il prenait le thé chez Hollande, Minc et Attali (qui servait d’intercesseur avec le milliardaire Soros) ; une élection dans un fauteuil après la campagne la plus vide de politique de l’histoire de la République, en dépit ou grâce à l’abstention massive ; une élection qui vit le candidat de droite « qui ne pouvait pas perdre » balayé (à juste titre) par un scandale médiocre ; puis le Premier ministre socialiste écrabouillé dans une primaire dont les chercheurs en sciences politiques les plus subtils comprendront peut-être dans deux siècles les tenants et les aboutissants ; une élection où les médias dominants construisirent tous, au cordeau, la même image des candidats en présence. Tout cela était trop beau pour être honnête.



Une constellation ahurissante

Le nouvel enfant gâté de la République a bénéficié d’une constellation ahurissante. Les grands médias l’ont tous soutenu après la débandade de Fillon. Les hauts fonctionnaires ont reconnu l’un des leurs. Tout comme l’oligarchie financière. Macron a jailli au moment pile où les deux grands partis politiques de la gauche gestionnaire, le parti socialiste, et celui de la droite dure, Les Républicains, s’effondraient, décrédibilisés. Reprenant une image stéréotypée du discours publicitaire et commercial, les médias (qui avaient soutenu Juppé pendant deux ans avant d’avoir pour Fillon les yeux de Chimène) constatèrent que leur offre politique  (plus de programme : une « offre ») ne répondait plus aux attentes d’une partie importante de l’électorat qui, à la vraie plate-forme politique progressiste de Jean-Luc Mélenchon, préféra le creux et la tautologie (« Notre projet va l’emporter parce que c’est notre projeeeet ») d’une substance sans fond (dans les deux acceptions du terme). Accessoirement, Macron eut la chance d’affronter au deuxième tour une Marine Le Pen dont la faiblesse et l’incohérence idéologiques éclatèrent, tout comme – ce que l’on pouvait subodorer – sa volonté de n’être en aucun cas présidente de la République. Ayant recruté un premier ministre de droite, des ministres de droite et s’étant bien gardé d’engager un seul ministre authentiquement de gauche, Macron sema la confusion et s’octroya une chambre des députés invraisemblable car peuplée d’amateurs n’ayant qu’une relation assez lointaine avec le terrain.



Vite, des erreurs !

N’ayant jamais connu de mandat électif, Emanuel Macron a vite commencé à pâtir de son immaturité en politique et de son manque d’enracinement dans la res publica. On l’a vu commettre des erreurs très grossières que ses qualités de fort en thème n’ont pu éviter. Il croit en une forme de pensée magique selon laquelle le dit est programmatique, performatif, et efface toutes les contradictions. Dire qu’on est « le chef des armées » en licenciant comme un malpropre un chef d’état-major qui n’a commis aucune faute, qui n’a pas manqué à son devoir de réserve, ne fait pas de vous le chef naturel des armées. Au contraire. En République, on n’impose pas son pouvoir par l’humiliation et par des coups de menton. On note par ailleurs que Macron le « jupitérien » a suscité, outre celle d’un général cinq étoiles, un nombre record de démissions au sommet de l’Etat : quatre ministres ont disparu sur simple suspicion mais ont tout de même retrouvé leurs fonctions de député, de député européen ou de maire. Ce qui posait un problème de logique. S’ils étaient coupables, pourquoi leur permettre de continuer à gérer la France, même à un moindre niveau ? Mais un François Bayrou étant moins dangereux à Pau qu’à Paris, Macron tira d’excellents marrons du feu sans y brûler sa morale personnelle. Pour vivre heureux, cachons les entraves à la marche en avant.


Sarkozy pensait que l’Afrique Noire n’avait commencé à exister qu’après avoir été colonisée par les Européens. Il avait l’excuse d’être un inculte profond qui ne savait pas que l’homme le plus riche de tous les temps fut Kanga Moussa, un empereur du Mali du XIVe siècle dont la fortune équivalait à trois fois celle de Bill Gates et qui ne se déplaçait jamais sans une suite de 70 000 personnes. Une telle richesse au sommet impliquait forcément une organisation, une civilisation, une culture phénoménales. Macron ne s’embarrasse pas de tout cela : il se contente d’insulter en évoquant le kwassa-kassa de Mayotte, d’affirmer, faussement, que les femmes africaines font sept à neuf enfants, après avoir décrété que la Guyane française est une île. Ah, le vernis des grandes écoles !


Les fers au feu de l’hyper bourgeoisie

Le patronat et la médiacratie ont prévu et ont contribué à l’écroulement du parti socialiste et de François Hollande (un président de la République empêché de se représenter, personne, à commencer par lui, n’y aurait pensé deux ans auparavant), ainsi que la glissade de François Fillon – en théorie gaulliste « social » – vers la droite le plus dure. On aura vu cet homme fade, produit de la bourgeoisie rurale, catholique et balzacienne, sans aucun charisme, écraser dans une primaire surprenante des personnalités aussi fortes et aguerries que celles d’Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy en s’alliant avec Sens commun, le parti d’extrême droite issu de la Manif pour tous.


Mais l’hyper bourgeoisie a toujours au moins deux fers au feu. Bien avant qu’éclate le « Penelope Gate », elle avait propulsé un autre de ses jockeys, le jeune banquier d’affaires et haut fonctionnaire issu de la bourgeoisie bien pensante amiénoise. Sans jouer les Cassandre, il faut espérer que l’oligarchie ne sera pas amenée, Macron ayant sombré dans l’impopularité la plus noire, à propulser une extrême droite modernisée, relookée comme on dit aujourd’hui.


Deux mots sur le couple Macron, un couple imposé par lui-même et par les grands médias (des centaines de couverture de magazine, des dizaines d’heures de chaînes d’info en continu). Emmanuel est le fils de deux médecins picards. Son père était un grand patron au CHU d’Amiens, sa mère généraliste. On sait désormais que sa grand-mère maternelle, Germaine Noguès, fille d’un berger illettré des Pyrénées, pur produit de l’Ecole de la République, elle-même enseignante aux idées progressistes, compta énormément dans l’éducation du jeune homme. Brigitte Trogneux descend d’une lignée d’excellents pâtissiers amiénois, de droite et catholiques. Ils se sont connus au collège jésuite La Providence, celui de Des Grieux dans Manon Lescaut, où Brigitte était le professeur de théâtre d’Emmanuel. A 20 mètres de “ La Pro ”, on trouve la Cité Scolaire plébeienne et républicaine, le secondaire laïc amiénois qui verra s'épanouir, outre l’auteur de ces lignes, le président du Sénat Gérard Larcher, l’écrivain René de Obaldia, la ministre Geneviève Fioraso, le compositeur Sylvain Cambreling et, ne l'oublions pas, le pilier de TF1 Jean-Pierre Pernaud.



Un banquier

Alors qu’il est nommé à l’Inspection des Finances, Macron choisit la banque. Il en parle comme d’« une école de rigueur et d’humilité » qui lui paraît « plus libre et entrepreneuriale ». Peut-être, mais comme la plupart des brillants enfants de la bourgeoisie française, Macron n’aura jamais fondé ni géré, une entreprise. A part l’entreprise France, évidemment.


Chez Rothschild, il pilote le rachat de Cofidis par le Crédit Mutuel puis l’acquisition, pour neuf milliards d’euros, de la branche lait maternel du groupe Pfizer par Nestlé, ce conglomérat qui a rendu dépendantes au lait en poudre des générations de mères africaines. Sa maestria lui rapporte des millions d’euros dont on ne sait toujours pas avec précision combien ont été dépensés et à quel taux ils ont été taxés par l’administration des Finances.  En dix-huit mois, de 2011 à 2012, avant sa nomination comme secrétaire-général-adjoint de l'Elysée, il a gagné 2,4 millions d'euros chez Rothschild. Il a suivi à la lettre le conseil d’Alain Minc : « Pour faire de la politique aujourd'hui, il faut être riche ou ascète. Donc, commence par fabriquer de l'épargne, deviens banquier d'affaires. D'abord, tu seras libre (...) de conseiller des hommes politiques pendant cette période. Mais, surtout, tu gagneras bien ta vie pendant plusieurs années, et tu y gagneras ta liberté (François-Xavier Bourmaud Macron, l'invité surprise, L'Archipel).

Macron a donc rapidement choisi le camp de la grande bourgeoisie, beaucoup plus haute que la sienne propre ou celle de sa belle famille. Son mépris pour la classe ouvrière date de loin. Il traite des travailleuses bretonnes d’« illettrées », il conseille à un ouvrier de « bosser » pour pouvoir se payer un costume comme le sien. Et puis il y a ce bref mais désormais célèbre épisode où on le voit deviser en marche (sic) avec le ministre Le Drian qui lui demande si les « concertations » (en fait des discussions informelles) avec les syndicats se sont bien passées. « Oui, ben c’est bien normal, parce que je ne leur ai rien dit. » Causez toujours, les syndicats, ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre et ça ne m’empêchera pas d’anéantir cent ans de conquêtes sociales.

Une chose est sûre, complot ou pas complot : nous eûmes droit à l’élection la plus mise en scène de notre histoire contemporaine. A la grande joie, semble-t-il de nombreux électeurs, comme le releva Olivier Tonneau dans son blog Mediapart. Selon un sondage, analysait Tonneau, « 62% des Français pensent que le président de la République a raison de se mettre en scène, car c'est en le faisant qu'il pourra faire avancer les projets auxquels il tient. Le peuple Français est abîmé dans la contemplation d’un peuple imaginaire censé contempler Macron auquel en réalité personne ne prête attention. Ce ne sont pas les mises en scène de Macron qui l’ont porté au pouvoir mais la mise en scène du peuple aimant Macron, c’est-à-dire d’un peuple aimant les mises en scène. » C’est le peuple « sot, remuant, aimant les nouveautés » de Furetière dont chacun pense qu’il a besoin d’un roi. »

(Suite et fin demain)
Macron, ou l’oligarchie financière au pouvoir (1)

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