J’ai été récemment destinataire d’un courriel collectif qui comportait ces deux phrases :
« En l’état actuel de nos démarches, nous devons encore réunir une MCF femme, deux PR femmes et deux PR hommes. Un(e) au moins des membres sera de préférence spécialiste en Linguistique anglaise. »
L’auteur en était un maître de conférences en Littératures du Commonwealth.
Deux mots d’explication. Il revenait au collègue la tâche de constituer un « comité de sélection » en vue du recrutement d’un maître de conférences en grammaire et linguistique anglaises. Il s’agit de la procédure normale depuis Pécresse et sa sinistre loi LRU.
Ce qui me choque dans les deux phrases du collègue c’est qu’elles sont genrées. Dans la Fonction publique, aucune loi ne prévoit de contingents selon le sexe. Un comité de sélection peut être paritaire, composé exclusivement de femmes ou d’hommes. Or il est très clair que, dans l’appel du collègue, le sexe comptait davantage que la spécialisation. Il est d’ailleurs plutôt singulier qu’un spécialiste de littérature fût responsable du recrutement d’un linguiste.
J’ai soumis cette phrase à deux ou trois proches qui, se faisant l’avocat du diable m’ont dit : « dans un système inégalitaire, il faut donner des coups de pouce. » Ce que les Zuniens appellent, depuis Kennedy en fait, « affirmative action », en bon français discrimination positive. Á une époque où les Noirs étaient très nettement désavantagés, Kennedy avait voulu leur faciliter l’accès à l’Université, l’administration. Mais il ne s’agissait nullement, dans l’esprit du président des États-Unis, d’une politique de quotas (illégale selon la Cour suprême). L’initiative de Kennedy a fait bouger les lignes dans la mesure où la proportion de Noirs appartenant à la classe moyenne a quintuplé en quarante ans.
Notre collègue, comme beaucoup d’autres, a détourné ce principe de discrimination positive, justement en pratiquant une politique de quotas, donc sur des bases de droite. Ce, à l’heure où, dans les facultés de Lettres, pour ne parler que de celles-là, les femmes sont plus nombreuses que les hommes, y compris au niveau professoral (le plus gros département d’anglais de France compte 120 femmes et une cinquantaine d’hommes).
Je me fiche éperdument qu’Oprah Wimfrey soit une femme et une Noire. Ce qui m’importe c’est qu’elle soit productrice de télévision et qu’à ce titre elle crée des émissions sur lesquelles je peux porter un jugement. Mais il m’intéresse plus encore de savoir que, milliardaire (en dollars), elle est la deuxième fortune au monde de l’industrie du divertissement. Cela est dû à son talent, assurément, mais aussi au fait qu’elle a profité, autant ou plus que d’autres, des conditions d’existence des travailleurs de cette industrie, de la grande précarité qui y règne, de l’esprit de jungle qui y sévit. Quand une personne cautionne et renforce un système profondément injuste, la couleur de sa peau est totalement secondaire.
J’en reviens aux comités de sélection. La loi Pécresse, voulue mordicus, de manière obsessionnelle, par un Sarkozy qui avait péniblement décroché un DEA dans des conditions douteuses et qui avait des comptes à régler avec les universitaires, a remplacé les commissions de spécialistes par des comités ad hoc. Sûrement pas parfaites, ces commissions souffraient d’une tare rédhibitoire pour le kleiner Mann, la droite et le patronat : elles étaient démocratiques et lisibles. Elles étaient élues pour trois ans, éventuellement sur des bases syndicales (celles que j’ai présidées le furent systématiquement). Elles comportaient, au niveau national, la même proportion de professeurs et de maîtres de conférences. Leurs présidents et vice-présidents étaient élus par leurs pairs. Les candidats aux postes, aux promotions, savaient donc à qui ils avaient à faire. Il n’en va pas du tout de même des comités de sélections. Ils sont constitués, dans l’opacité la plus totale, par les présidents d’universités, qui chargent un collègue de leur choix d’établir un jury (quand ils n'assument pas eux-mêmes cette tâche). Cela est accompli au coup par coup. Un enseignant qui a l’oreille du président peut siéger dans quinze comités, sans avoir été reconnu par ses collègues, tandis que son voisin de bureau ne siègera dans aucun.
Le problème n’est donc pas une affaire de sexe mais de pratiques démocratiques. Cela s’inscrit dans le cadre de toutes les mesures prises par Sarkozy, Hollande et maintenant Macron, visant à abolir la démocratie dans l’enseignement supérieur et à transférer le pouvoir que détenaient les seuls universitaires de l’universités (les enseignants et les étudiants) vers des non universitaires : personnels administratifs du style DRH et « personnalités » extérieures.
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