jeudi 25 octobre 2018

Florence Dalbes-Gleyzes. Le bruit et la mémoire



Professeur et documentaliste, Florence Dalbes-Gleyzes
a produit une œuvre riche et variée (nouvelles, romans, théâtre, poésie).

Le bruit et la mémoire est un roman choral très original où la narratrice,  blessée par les malheurs du monde, nous présente, de manière très indifférenciée, les humains comme les maillons d’une chaîne obligée. Une des questions posée par le roman est de savoir si « un coup de dés jamais n’abolira le hasard », si, en d’autres termes mallarméens, notre humanité commune est un navire en plein naufrage. Où encore s’il est possible de lancer les dés pour défier un monde qui nous détermine. Ce livre nous dit que la loi du hasard cherche ses lois par delà l’incertitude.

Dans ce texte, les quatre personnages principaux sont des femmes et les hommes n’ont pas la partie belle. Une mère a écrit depuis son enfance des carnets intimes découverts par sa fille Élisabeth. La meilleure amie de celle-ci est une psychothérapeute don elle est la patiente. Élisabeth va déposer chez la psy les quatre carnets intimes, qui deviennent extimes, des « bombes » qui contiennent des secrets qui ont ébranlé des vies des vies liées les unes aux autres mais sans qu’on comprenne vraiment pourquoi.


Nos vies sont « reliées par des spirales », bornées par des événements qui s’imposent à nous à notre corps défendant. Ici, la chute du Mur de Berlin, là, l'assassinat du petit Grégory. La mort tragique de cet enfant pèsera lourdement sur la conscience claire de l’héroïne : « On n’aurait pas dû me permettre de regarder ou lire des informations. J’étais bien trop impressionnable. J’ai pris conscience que n’importe quoi pouvait nous arriver n’importe quand. (…) Je sentais bien au fond de moi que l’enfance est un tissu fragile et que nous étions des proies faciles, des êtres sans armes, à la merci des adultes. »

Et puis, il y a la grande Histoire qui plombe certains individus et montent des clans familiaux contre d’autres. Comme le pétainisme dont l’autrice décrit admirablement les ravages chez tous ceux qui s’en sont accommodés : « En 1942, il avait fini par jurer fidélité à Pétain ! Son père était revenu du premier conflit mondial défiguré, détruit à l’intérieur. (…) Son frère aîné, lui, y était mort. Á dix-huit ans. Pétain avait sans doute raison, pensait –il, il valait mieux que les combats cessent. On allait éviter le massacre et tant pis s’il fallait devenir allemand pour ça. Tant pis s’il fallait sacrifier quelques juifs. Il venait d’avoir un enfant, il avait une femme, il voulait leur bonheur, leur survie. Il n’a pas vu en grand. Il a seulement vu un peu devant lui. Il n’avait pas beaucoup d’instruction, mais assez pour entrer dans la police. Il ne pensait pas qu’on lui ordonnerait de faire ce qu’il ne fallait pas. La justice ! La justice, pour lui, ne pouvait être injuste, amorale, décadente, critiquable. »

Le lecteur vogue dans cet entrelacs, ce puzzle de destins. Avec Mélanie, la meilleure amie d’Élisabeth, qui sert de pont entre les différents protagonistes. Chaque femme raconte un morceau de sa vie, ce qui permet de mieux comprendre le tableau général. Le secret mine les familles mais la vérité peut les faire exploser.

Tant que les familles n’ont pas été écrites, on les connaît bien mal.

Avignon : Chum Editions, 2018.




Note de lecture (181)

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