J’assistai récemment à une soutenance d’Habilitation à Diriger des Recherches en linguistique française. Avec le jury et la candidate, nous étions en présence de la crème de la crème des manieurs de la langue française. Dix fois j’entendis le verbe “ implémenter ” et le substantif “ implémentation ”. “ To simplement ” c’est tout simplement exécuter (une tâche), mettre en œuvre ou en pratique. L’utilisation du barbarisme implémenter écorche les oreilles, n’enrichit en aucun cas la langue française, surtout quand on se souvient que le terme a été imposé il y a une quarantaine d’années par les informaticiens français, dont on sait qu’ils sont particulièrement soucieux de notre patrimoine langagier.
Mais je voudrais évoquer ici l’adjectif “ inapproprié ”. Dans le français du XXIe siècle, tout est inapproprié : un barbon viole une enfant de 14 ans, sa conduite est inappropriée ; tel menu d’une cantine scolaire est inapproprié ; une marge bénéficiaire de plus de 10% est inappropriée ; la détention préventive est un mode de justice inapproprié ; une utilisation massive de médicaments peut être inappropriée. Nous avons ici affaire au calque de l’anglais “ inappropriate ”. Mais l’anglais lui-même se méfie de ce mot. Dans les exemples ci-dessus, un anglophone pourra fort bien utiliser les adjectifs “ improper ”, “ unsuitable ”, “ inadequate ”.
Débarqué en provenance de l’anglais vers 1975, je dirais que l’usage abusif d’“ inapproprié ” nous vient de l’ancien président des Etats-Unis William Clinton. Lorsqu’après avoir nié toute relation sexuelle au sens étroit du terme avec une stagiaire de la Maison Blanche – autrement dit, comme disait Bukowsky, sans avoir pu tremper son biscuit – il lui avait bien fallu avouer que Miss Lewinsky lui avait prodigué quelques gâteries à base de cigares mouillés. Il avait alors reconnu le caractère « inappropriate » de cette pratique. Les médias, les faiseurs d’opinion, s’engouffrèrent dans cette litote béante et nous la servirent à qui mieux-mieux, dans le domaine sexuel, puis dans tous les champs sémantiques. Au-delà de nos frontières, l’espagnol “ inapropriado ” tendit à remplacer, entre autres, “ inadecuado ”. Même chose en italien ou en portugais.
Vont donc disparaître de notre usage “ inadéquat ”, “ non pertinent ”, “ déplacé ”, “ impropre ”, “ boiteux ”, “ malséant ”, “ inadapté ”, “ indigne ”, “ incorrect ”, “ malhonnête ”, “ incongru ”, “ indécent ”.
C’est vous qui voyez.
Dans leur livre L'Elysée off, les journalistes Stéphanie Marteau et Aziz Zemouri affirment que le ministre Michel Sapin, voyant une journaliste penchée pour ramasser un stylo, "ne put retenir sa main en murmurant : 'Ah, mais qu'est-ce que vous me montrez là ?' et (...) fit claquer l'élastique de la culotte de la reporter en pantalon taille basse".
Sapin nia les faits et affirma avoir “ touché le bas du dos de la journaliste ”, ce qui était “ inapproprié ”.
Les “ maladresses ”, le harcèlement sexuel, sont politiques. Comme le commentent fort à propos les deux auteurs mentionnés ci-dessus : “ Quand les pratiques de harcèlement – ou discriminatoires – sont à ce point passées sous silence, elles ont tendance à se banaliser. A l'Elysée comme ailleurs, elles visent le plus souvent les personnels précaires. Les petites mains du Château sont ainsi les premières victimes des économies réalisées sur le train de vie de l'Elysée. "L'entourage du président de la République est très dur", dénonce un cuisinier. "Je connais l'Elysée depuis dix ans. Jamais il n'y a régné une telle violence sociale. Ils ne regardent que les chiffres et serrent la vis, mais que sur les petits. On n'en revient pas de tant de dureté, de la part d'un gouvernement de gauche." ”
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