Le fonctionnement de la mémoire est bien étrange. L’autre jour, ma télé était allumée mais je ne la regardais pas. Je vaquais. Soudain, j’entendis le mot, le nom “ Vincendon ”. Immédiatement, remonta à la surface le souvenir d’une tragédie vieille de 64 ans qui tint la France en haleine pendant deux semaines durant les fêtes de Noël. Si l’on m’avait demandé le nom des deux victimes de cette tragédie, j’aurais été incapable de les donner. Mais dès lors qu’on me fournissait l’un de ces deux noms, tout me revint en mémoire.
Jean Vincendon et François Henry, jeunes alpinistes confirmés, avaient décidé de réveillonner au sommet du Mont-Blanc. Ils partirent le 22 décembre 1956 par la voie de l’éperon de la Brenva. Mais pris par une tempête terrible et sous des températures de moins trente à moins quarante degrés, ils furent bloqués sur un plateau proche du refuge Vallot.
Sous des températures sibériennes, ils furent coincés sur un plateau relativement proche du refuge Vallot. Ils mourront après dix jours de froid et d’épuisement, leur progression étant suivie à la jumelle depuis la vallée.
Le 24 décembre, jugeant les conditions météorologiques trop dangereuses, ils redescendent vers Chamonix. Ils croisent une cordée italienne menée par le célèbre guide Walter Bonatti. Cette rencontre les remotive et ils passent la nuit de Noël avec Bonatti et son client dans le refuge de la Fourche.
Le 25 décembre, les deux cordées se séparent, Bonatti prenant la voie de la Poire, Vincendon et Henri s’engageant dans la Brenva. Estimant les conditions d’ascension trop dures, Bonatti décide de redescendre. Vincendon et Henry sont alors nettement en dessous de lui. Leur progression est très lente. Les deux cordées poursuivent la montée indépendamment et passent la nuit dans un bivouac de fortune.
Le 26 décembre, les conditions météorologiques sont toujours exécrables. Bonatti et son client arrivent au refuge Vallot tandis que Vincendon et Henry, épuisés, décident de redescendre à Chamonix par la Combe Maudite. Dans la vallée, alors qu’on est sans nouvelle depuis cinq jours, l’alerte est donnée.
Le 27 décembre, un hélicoptère décolle pour une reconnaissance mais ne repère pas les deux étudiants.
Le 28 décembre, ils sont enfin situés et on leur largue des vivres et des couvertures.
Les 29 et 30 décembre, les conditions météo ne permettent pas le sauvetage des deux alpinistes.
Le 31 décembre, une cordée sous la conduite de Lionel Terray prend la direction des Grands Mulets. On envisage de déposer des secouristes au sommet du Dôme du Goûter avec, par ailleurs, l’atterrissage d’un hélicoptère sur le Grand Plateau. Dans l’engin, se trouve Honoré Bonnet, le futur entraîneur des JO mythiques de 1966 où la France avait tout raflé. L’hélicoptère s’écrase. Par miracle, les quatre occupants sont indemnes. Vincendon et Henry étant intransportables, les sauveteurs les placent à l’intérieur de la carlingue de l’hélicoptère. Ils prennent cette photo qui fera le tour du monde.
Ce cliché est trompeur. Vincendon semble sourire mais il n’offre qu’un rictus gelé. Sur la gauche, Henry présente un profil déjà nécrosé.
Les sauveteurs décident de remonter les pilotes au refuge Vallot et de redescendre ensuite chercher les deux étudiants.
Mardi 1er janvier, Lionel Terray redescend par sécurité.
Mercredi 2 janvier, les opérations de sauvetage sont arrêtés, les conditions étant trop périlleuses.
Jeudi 3 janvier, deux hélicoptères (dont une Alouette que l’armée avait enfin daigné détacher d’Algérie) se posent près de l’observatoire Vallot et évacuent les secouristes et pilotes. Ils survolent la carlingue où se trouvent Vincendon et Henry mais ne perçoivent aucun signe de vie. Le père de François Henry donne son accord pour qu’il soit mis un terme aux opérations de secours.
Jusqu’au 20 mars 1957, la carlingue devint le tombeau des deux jeunes alpinistes. Lorsqu’une expédition put atteindre les corps, les sauveteurs estimèrent qu’à sa position Henry était sûrement encore vivant le 3 janvier lors du dernier survol de l’Alouette : il avait probablement tenté de sortir de la carlingue.
Une intense polémique suivit ce drame. Il fut reproché à la Compagnie des Guides de ne pas avoir réagi plus rapidement et à l’Armée de ne pas avoir libéré une Alouette plus tôt. On était en pleine guerre d’Algérie et la priorité était donnée à la lutte contre le FLN. De fait, l’Armée ne débloqua des Alouettes que quand il s’agit de secourir les sauveteurs naufragés.
Suite à cette tragédie, il fut décidé de créer un peloton de gendarmerie de haute montagne.
Me revinrent également en mémoire les propos d’un journaliste de Radio Luxembourg qui, après l’annonce du décès des deux jeunes alpinistes, se répandit pendant au moins cinq minutes en imprécations haineuses contre les deux hommes qui s’étaient embarqués dans une aventure à ses yeux complètement folle (la première ascension hivernale du Mont-Blanc avait été réalisée par l’anglaise Isabella Straton et deux guides en 1876 !), avaient risqué la vie de secouristes et avaient coûté beaucoup d’argents aux contribuables. Radio Luxembourg était déjà une station bien-pensante et bien poujadiste.
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