vendredi 4 octobre 2013

L'ère des drones (par Noam Chomski).


Un entretien de Noam Chomski sur l'industrie des drones, l'art et le droit de la guerre selon les autorités étasuniennes, publié par Le Grand Soir.

Dialogue entre le Professeur Noam Chomsky et Steven Garbas à Cambridge en mai 2013. Ils parlent de cette nouvelle époque, l’ère des drones, et de la présidence Obama.

Noam Chomsky : En conduisant ce matin j’écoutais les nouvelles sur la National Public Radio (NPR). Ils ont commencé l’émission en annonçant, tout excités, que l’industrie des drones connaît un tel boom que les instituts d’enseignement supérieur font tout pour ne pas rater le coche, ils ouvrent de nouveaux cours dans les écoles d’ingénieurs... ce genre de choses. Pourquoi l’enseignement de la technologie des drones ? C’est ce que les étudiants veulent. À la clé il y a un nombre fantastique de postes de travail.

C’est vrai. Si vous regardez les comptes rendus publics vous pouvez imaginer ce que sont les comptes rendus secrets. On sait depuis quelques années, et on sait de mieux en mieux, que les drones, en effet, sont déjà utilisés par certaines polices pour la surveillance. Et ils sont conçus pour toutes les utilisations imaginables. En théorie, et peut-être en pratique aussi, vous pouvez avoir un drone de la taille d’une mouche qui pourrait bourdonner par là [il montre la fenêtre] et nous écouter parler. Je ne serais pas loin de penser que ce sera une réalité dans pas longtemps.


Et bien entendu on les utilise aussi pour commettre des assassinats. Il y a une campagne globale d’assassinats en cours. C’est assez intéressant si vous regardez la façon de procéder. J’imagine que tout le monde a vu la première page du New York Times où se trouvait ce qui est en gros une fuite de la Maison blanche ; parce qu’ils sont apparemment fiers du déroulement de la campagne globale d’assassinats. En gros, le matin le président Obama voit John Brennan, son conseiller pour la sécurité, aujourd’hui à la tête de la CIA. Apparemment Brennan est un ancien prêtre. Ils parlent de Saint Augustin et de sa théorie de la guerre juste, et ensuite ils décident qui va être tué aujourd’hui. Et les critères sont assez intéressants. Par exemple, si, disons, au Yémen, un drone détecte un groupe de messieurs réunis autour d’un camion, il est possible qu’ils soient en train de planifier quelque chose qui pourrait nous affecter. Pourquoi ne pas assurer le coup, en les tuant ? Et il y a d’autres choses comme ça.



Des questions surgissent quant au droit à un procès juste et équitable, principe fondateur du droit états-unien – c’est un principe vieux de 800 ans, qui remonte en fait à la Grande Charte. Qu’est devenu ce principe de droit ? Le procureur général Eric Holder dit qu’ils reçoivent un procès juste et équitable parce que « c’est discuté au niveau du pouvoir exécutif ». Le roi Jean sans Terre, au XIIIème siècle, qui a été contraint de signer la Grande Charte, aurait adoré cette réponse. C’est vers cela que nous allons. Les principes fondateurs des droits civils sont pulvérisés. Ce n’est pas le seul cas, mais c’est le plus illustratif. Et les réactions sont assez intéressantes, elles vous montrent bien la mentalité du pays. Il y avait une interview, je crois que c’était Joe Klein, un peu le libéral dans l’un de ces journaux, on l’interroge à propos du cas où quatre fillettes ont été tuées par les tirs d’un drone. Et sa réponse en gros c’était « eh bien, il vaut mieux que ce soit leurs fillettes que les nôtres ». En d’autres termes, peut-être que ce bombardement a empêché une action postérieure qui aurait pu être néfaste pour nous.

Il y a une clause dans la Charte de l’ONU qui permet l’emploi de la force sans l’autorisation du Conseil de sécurité, une petite exception dans l’article 51. Mais elle fait précisément référence au cas d’une « attaque imminente », qui serait soit en cours soit imminente, de telle sorte qu’il n’y ait plus le temps de la réflexion. C’est un principe qui remonte à Daniel Webster et à la Caroline Doctrine qui spécifie ces conditions. Cela a été réduit en miettes. Pas seulement pour le cas des attaques de drones, mais bien au-delà. Donc peu à peu les fondements de notre liberté sont réduits en miettes, détruits. En fait Scott Shane, l’un des auteurs de l’article du New York Times, avait écrit une réponse aux différentes critiques exprimées. Sa conclusion était assez pertinente, me semble-t-il. Il disait à peu près : « C’est mieux que Dresde ». N’est-ce pas ? Ouais, c’est mieux que Dresde. C’est donc la limite : nous ne voulons pas tout détruire. Simplement nous allons les tuer parce que peut-être qu’un jour ils pourraient nous causer du tort. Peut-être. En attendant, bien entendu, que faisons-nous ?

Je pense que c’est tout cela, et y compris les systèmes de surveillance, qui va prendre un caractère et une dimension difficiles à imaginer. Et bien sûr maintenant les informations peuvent être collectées sans limite. En fait il paraît qu’Obama a un dispositif de stockage de données qui est en train d’être construit dans l’Utah, un lieu où on fait entrer toutes sortes de données. Qui sait quoi ? Probablement tous vos mails, toutes vos conversations téléphoniques, un beau jour ce que vous dites à quelqu’un dans la rue, où vous étiez dernièrement, vous savez, à qui vous parlez, probablement une tonne d’informations de ce genre se trouvera là-bas. Est-ce que cela veut dire quelque chose ? En fait probablement pas autant que tant de monde le craint. Je ne pense pas que ces données soient effectivement utilisables. En fait, je pense, j’imagine, qu’elles ne sont utilisables que dans un seul but : si le gouvernement pour une raison ou une autre recherche des informations précises sur une personne. Ils veulent savoir quelque chose sur ce gars, ok, là ils pourront trouver des informations à son sujet. Mais au-delà de ça l’histoire et l’expérience suggèrent que cela ne servira pas à grand-chose.


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