lundi 9 décembre 2013

Anthony et Doris

Anthony Sampson fut un des quatre ou cinq plus grands journalistes anglais du XXe siècle. De l’écrit. Il est devenu célèbre en 1962 après la publication d’un des ouvrages les plus complets sur la Grande-Bretagne : Anatomy of Britain Today. Il écrivit ensuite des livres remarquables sur ITT (ITT, l’État souverain), sur les grandes compagnies pétrolières (Les sept Sœurs), sur le commerce des armes (The Arms Bazaar), une étude sur la classe dirigeante anglaise au début du XXe siècle (Who Runs this Place ?) où il feignait de s’étonner de la place de plus importante occupée par des étrangers dans un pays où le Sun  appelle la Reine « Her Maj’ » : un Égyptien avait acheté Harrods, un Jamaïcain était à la tête du plus important syndicat du pays, la moitié des grandes sociétés britanniques étaient dirigée par des étrangers, l’archevêque de Cantorbéry était gallois (quasiment un étranger qui s’était permis de critiquer l’expression de Bush « l’axe du mal » en 2001), l’évêque de Rochester, Michael Nazir-Ali, était né au Pakistan, l’entraîneur de l’équipe d’Angleterre de football en 2001 était suédois et, bien sûr, l’équipe de Chelsea appartenait à un Russe.




C’est qu’il y avait chez Sampson, anglais jusqu’au bout des ongles, un très fort tropisme de l’étranger. Il avait en effet commencé sa carrière de journaliste en Afrique du Sud dans les années cinquante, à la tête de la rédaction de Drum,une publication qui comptait parmi ses signatures des Sud-Africains juifs, métis et surtout noirs. L’apartheid ne battait pas encore son plein, mais tout de même.



Au début des années cinquante, on (Sampson compris) se permettait à Johannesburg des privautés qui n'auraient plus cours dans les années soixante :




J’ai repensé à Sampson, que j’ai connu à partir des années soixante-dix, à l’occasion de la mort de Mandela. Anthony est en effet l’auteur de la biographie “ autorisée ” de Mandela, qu’il publia en 1999. Lorsqu’il rencontra Mandela pour la première fois, au début des années cinquante, Sampson se demanda s’il avait affaire à du lard ou cochon. Il me confia en 1970 qu’il n'avait pas été certain que Mandela pourrait prendre la tête du mouvement de libération des Noirs. Il le perçut de prime abord comme quelqu’un d’emporté, de vaniteux, ayant à peine digéré trois ou quatre idées puisées dans Le Capital. Mais, au fil des années, il le vit évoluer, mûrir. Ils travaillèrent tous les deux sur l’ébauche de la déclaration préliminaire que Mandela prononça lors du procès de Rivonia. Il comprit alors à quel point Mandela était bien campé sur ses jambes, très équilibré, avec une vrai assurance, et qu’il ferait toujours preuve de beaucoup plus de dignité que ses adversaires.

Alors, me direz-vous, quid  de Doris ? Il s’agit, vous l’aurez deviné, de Doris Lessing. Elle avait six ou sept ans de plus qu’Anthony et s’était déjà mariée deux fois, la seconde en 1945 avec Gottfried Lessing, allemand, communiste et juif exilé, dont elle divorcerait en 1949.

Lorsqu’elle fait la connaissance d’Anthony, cette femme hors du commun qui a passé son enfance en Rhodésie, a déjà publié plusieurs romans, mais pas Le Carnet d’or, son chef d’œuvre. Il serait exagéré de dire – même si la critique anglaise a pu se le permettre – que Le Carnet d’or eut le même retentissement que Le deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Le fait est que ce récit exposait très crument les tenants et les aboutissants de la sexualité féminine et militait en faveur d’une vraie libération des femmes.

Doris et Anthony s’étaient bien trouvés. La séduction s’opéra dans le sens femme/homme. Ce cachotier d’Anthony, en bon Anglais pratiquant la litote sans jamais se vanter, ne m’avait jamais parlé de cet épisode torride. Sampson écrivit par la suite que Lessing était « fraîche, passionnée et africaine ». Pour le conquérir, Doris prétexta une rencontre de travail : elle menait des recherches sur l’Afrique du Sud. Dans un mémoire relatant cette liaison, Sampson fut très direct : « Doris Lessing, la romancière communiste était arrivée de Rhodésie comme une panthère magnifique en provenance du veldt, sautant par-dessus les murs et les haies, un mélange de beauté et d’absence d’ambiguïté. Peu de temps après notre première rencontre, elle m’appela au téléphone pour me demander si elle pouvait consulter mes exemplaires du journal sud-africain New Age. Dans la soirée, je l’emmenai voir une pièce de John Osborne, puis nous rentrâmes à mon appartement pour manger du poulet froid. »

« J’aime comment nous abordons les préliminaires », dit Doris », « alors que nous savons tout deux que nous allons coucher ensemble ce soir. J’ai déjà essayé deux fois. Pourquoi aurait-il fallu que je consulte New Age »


Pendant que nous faisions l’amour, raconta Sampson, elle me dit dans un souffle qu’elle avait organisé la dernière grève en cours.

L’histoire ne dit pas combien de temps dura cette liaison. Dans ses propres mémoires, Lessing n’a rien divulgué de sa vie sexuelle extraconjugale.


PS : Sur la photo qui suit, à gauche : mon nez.


Anthony et Doris


http://bernard-gensane.over-blog.com

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