jeudi 20 février 2014

Réaction à un entretien avec Gérard Genette

Cet entretien soulève un gros problème. Je précise d'où je parle, comme on disait dans les années vincennoises au début des années soixante-dix : j'ai lu presque tous ses livres, je les ai cités, abondamment utilisés dans mes travaux. Ses lectures de Proust, ses Figures, son immense travail sur le palimpseste sont pour moi l'un des plus grands moments de ma vie intellectuelle. Et je ne parle pas de son humour si subtil.
J'ai 66 ans, donc 18 ans de moins que lui, mais j'espère sincèrement, fougueusement, que je ne serai pas dans l'état d'esprit qui est le sien si j'atteins son âge canonique (l'âge on l'on ne peut plus canoner intellectuellement, peut-être).
Le discours qu’il nous tient me rappelle celui d’un de mes maîtres, il y a une vingtaine d’années, une paire d’heures avant qu’il préside mon jury d’HDR. Comme il me voyait très enthousiaste à l’idée de défendre l’œuvre de mon auteur fétiche, il me dit : « du calme ; que faisons-nous ici si ce n’est gagner notre croûte ? Moi c’est le vieil-anglais, toi c’est Orwell ».


En écoutant Genette, j’essayais d’imaginer la réaction d’un étudiant de M2 : « Si j’ai bien compris, tout se vaut, rien n’a d’importance, puisque ce grand savant nous balance, désabusé, les mots communisme, gauchisme, Lénine, structuralisme, nouveau roman, Hollande, ni gauche ni droite, tout cela dans une bouillie d’approximations, avec l’air de ne plus y toucher. » Et je ne parle pas de la réaction de ceux pour qui les universitaires sont des parasites inutiles.
Le fait qu’il se soit fourvoyé en politique n’incrimine en rien l’engagement politique. Si son idéal est les fins de la gauche (le progrès social, sûrement) avec les moyens de la droite (le capitalisme financier, l’exploitation des ressources terrestres, l’aggravation des inégalités, l’aliénation sans fin du prolétariat, la montée de l’extrême droite), c’est son droit le plus strict, mais qu’il appelle un chat et chat et qu’il se reconnaisse désormais comme un vieux réac avec quelques élans de dame patronnesse.
Je crains que, s’il publie un nouveau livre, ce soit à désespérer.

Lire et écouter cet entretien sur le site de Mediapart.

L'auteur de l'entretien, Antoine Perraud, m'écrivit ceci :

Il y a quelque chose de très animal – et sans doute profondément humain – dans votre volonté de vous cogner, maintenant que le risque est faible, le vieux mâle dominant mais déclinant du troupeau universitaire, dont il vous fallut subir l'omnipotence.
Pour ma part, de cet homme parmi les hommes, Gérard Genette, de 30 ans plus âgé que moi, je confesse le trouver bien plus intelligent, cultivé, vif d'esprit et virtuose dans le maniement de la langue que votre serviteur. Je n'en conçois aucune amertume, ni plaisir masochiste. Je l'admets, simplement.
Sa façon d'avoir toujours le dernier mot m'enchante. Dernier exemple en date (contrairement à vous, j'espère de sa part un nouveau livre, capable, une fois de plus, de soulever la chape de conformisme, de fiel et de morosité) : lorsque j'arrive chez lui, pour cet entretien, une conversation informelle s'engage. J'apprends que Gérard Genette est locataire : « Vous n'êtes pas propriétaire de votre appartement ? Vous me décevez ! » La réplique fuse : « Vous aussi ! »
Cela vous est peut-être difficile de l'admettre, mais G.G., c'est le plus fort !!!


Je lui répondis ceci :

Je n'ai rien "subi". Je n'ai jamais été dans son orbite. J'ai beaucoup appris de lui. Je suis devenu moins bête grâce à lui. Dans les années 80, j'habitais en Afrique et j'étais un peu isolé de la communauté scientifique française. Il me fit l'honneur et le plaisir d'une correspondance généreuse et amicale. Et il ne m'est pas du tout difficile d'admettre que GG fut le plus fort.
Cela n'empêche que cet entretien est désolant. Même s'il joue un rôle, il décrédibilise la rigueur scientifique, donc le discours public des scientifiques. Son désengagement politique est plus préoccupant et beaucoup moins constructif que celui d'un Morin, par exemple. La pichenette dont il gratifie Hollande ne mène pas bien loin.
Pour l'anecdote, en quoi est-il "décevant" de ne pas être propriétaire de sa maison ? Lorsqu'on n'a pas d'enfant, (je ne sais s'il en a ou pas),  lorsque l'on ne désire rien transmettre, il est moins onéreux d'être locataire sa vie durant que propriétaire. Tous les spécialistes de l'immobilier vous le diront.
Bravo pour sa réponse.

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