dimanche 27 avril 2014

Un projet pharaonique au Nigéria



Il y a une petite quarantaine d’années, je résidais à Abidjan. J’y rencontrai Wole Soyinka, futur prix Nobel de littérature à qui je demandai comment qualifier Lagos par rapport à la capitale de la Côte d’Ivoire. Il me répondit : « Lagos est immense et elle pue. »

Aujourd’hui, Soyinka est le chantre d’un délirant projet capitaliste nigérian : la construction, au Large de Lagos, par des capitaux privés, d’une presqu’île de dix kilomètres carrés, havre pour les affaires et les appartements luxueux. La Qatar dans le delta du Niger. Le poète et dramaturge nigérian nous dit qu’Eko Atlantic « surgira, telle Aphrodite, de l’écume de l’Atlantique » (Aphrós = écume en grec). J’ai connu l’époque où Soyinka n’allait pas chercher ses références culturelles dans l’antiquité européenne et raillait l’ancien Normalien Senghor, en référence au concept de “ négritude ” : « Un tigre ne proclame pas sa tigritude : il bondit ».


Bill Clinton présida aux destinées d’Eko Atlantic en 2003.

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Destinée théoriquement à protéger la côte nigériane de l’érosion, il semble que la construction de cette île ait abouti à l’effet inverse : l’océan a pénétré dans les terres, seize personnes sont mortes noyées, des plages ont été recouvertes. Mais cela n’a pas empêché la poursuite de ce projet dont les promoteurs principaux sont China Communications Construction et le Chagoury Group, du nom de deux frères milliardaires libanais, proche des dictateurs des années 1990, dont la famille est établie dans la région depuis les années quarante. Ils pèsent plusieurs milliards d’euros et le Vatican a su honorer comme il convenait ces mécènes chrétiens.

Construire en ce lieu où 70% de la population vit avec un euro par jour le « futur Hong-Kong de l’Afrique » devrait fournir une résidence de choix à 400 000 personnes et du travail à 250 000 autres faisant la navette entre la presqu’île et la capitale économique du pays.

L’extraction du pétrole depuis soixante ans a durablement pollué le delta du Niger et a privé les populations autochtones (pêcheurs, agriculteurs) de leurs moyens de subsistance. On peut douter que la presqu’île Eko Atlantic améliore la condition de centaines de milliers de personnes qui se verront déplacer, ségréguer.

Au niveau mondial, l’hyperbourgeoisie poursuit les mêmes objectifs face au réchauffement climatique : au Brésil où les riches utilisent des centaines d’hélicoptères pour se mouvoir au-dessus des bidonvilles, en Afghanistan, en Chine, au Caire. Il s’agit de vivre et de travailler loin de la pollution industrielle et humaine. Un apartheid climatique se développe concomitamment à l’apartheid social.

PS : sur la photo, Soyinka est à ma gauche. Il serait vraisemblablement à ma droite aujourd'hui.

Rappelons tout de même que Wole Soyinka fut emprisonné pendant deux ans, de 1967 à 1969 pour avoir soutenu la cause du peuple biafrais (sans être biafrais lui-même) et qu'en 1994 il dut s'exiler après avoir été condamné à mort par le gouvernement du dictateur militaire Sani Abacha.

Un projet pharaonique au Nigéria

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