vendredi 29 août 2014

Retour sur la pratique syndicale

Je discutais récemment avec deux vieux amis (encore plus vieux que moi) sur la pratique syndicale que nous avons pu connaître durant notre vie professionnelle. Nous évoquâmes principalement l’avant mai 81, l’accession de Mitterrand à l’Élysée ayant marqué, selon nous, une rupture irréversible dans la place et le rôle du syndicalisme dans notre société. Tout bêtement parce que, lorsque les socialistes et les communistes s’installèrent sous les lambris dorés de la République, de partout fusèrent les mêmes messages : « nos amis sont au pouvoir », « Rome ne s’est pas faite en un jour », « il fait leur laisser le temps » et autres réflexions lénifiantes qui contribuèrent à démobiliser le plus grand nombre. Il ne fallait surtout pas broncher, manifester notre mécontentement, notre impatience, notre surprise devant le braquage à droite de 1983.

Dans l’Éducation nationale, à l’époque, le taux de syndicalisation était remarquable. Dans mon souvenir, je l’évalue à trois enseignants syndiqués sur cinq, peut-être plus. Il y avait la quantité, mais aussi la qualité. Nous nous rencontrions fréquemment, nous discutions, nous épluchions, nous confrontions, nous élaborions. Sur de vraies bases, pas sur du vent. Cette animation collective créait du lien, était un rempart contre l’individualisme. Même les dirigeants de la CFDT ne finissaient pas leur vie professionnelle parmi les grands patrons ou les grands planqués de la haute Fonction publique. C’est tout dire.


Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Je ne vois plus guère de forte et efficace présence syndicale que dans l’administration des Impôts. Dans l’Université d’où je viens, les syndiqués sont bien souvent inaudibles et ne sauraient résister au rouleau compresseur du modèle anglo-saxon : privatisation rampante, soumission aux patronats locaux, compétition à outrance, publish (même de la merde, du moment qu’il y a la quantité et la caution des revues étasuniennes) ou perish (de mort rapide).

Il y a six ans, j’ai publié un petit texte dans les colonnes du Grand Soir où j’expliquais le besoin et la nécessité de la pratique syndicale. À l’heure où, désormais, les Solfériniens mènent une politique ouvertement à front renversé, avec un Premier ministre qui exprime presque quotidiennement sa haine du peuple, les travailleurs (mais aussi les retraités, et plus encore les chômeurs) doivent de toute urgence retrouver le désir de lutter ensemble. Pour eux et, plus encore, pour leurs enfants et petits-enfants.

Retour sur la pratique syndicale

Je me permets donc de reprendre ici ce texte motivé à l’époque par la loi Sarkozy/Pécresse de privatisation de l’Université.

Syndicat

Le mot " syndicat " est l’un des plus beaux mots de la langue française. Son origine est grecque. Il signifie " rechercher ensemble ce qui est juste " .

Qu’y a-t-il de plus beau que de parler ensemble, d’échanger des informations, de prévoir ensemble, d’établir des objectifs communs ensemble, de lutter ensemble ? Je plains les salariés non syndiqués, même s’ils représentent la grande majorité. Leur vie professionnelle n’est que solitude, repli sur eux-mêmes en cas de coups durs. Ils prêtent leur pauvre flanc au discours dominant et aux pratiques de ceux à qui ils vendent leur force de travail.

Peut-être mon analyse est-elle un peu biaisée : mes parents, un de mes grands-pères étaient syndiqués, et j’ai derrière moi quarante années de carte syndicale dans un syndicat auquel est également affiliée mon épouse. S’il me fallait revivre ma vie professionnelle, je ne pourrais la concevoir sans le regard, l’écoute, l’appui d’autres, sans une réflexion personnelle mise au service d’autres, sans penser ma cause, mes intérêts personnels par le prisme de ceux des autres.

Je suis très attristé de voir à quel point dans le milieu enseignant – le seul que je connaisse vraiment – la notion de syndicat, le simple réflexe de penser les choses ensemble, donc de faire, au plein et noble sens du terme, de la politique, tend à devenir une obscénité, « a dirty word », comme on dit outre-Manche, dans un pays où, justement, depuis quarante ans, les " unions " ont été laminés, jour après jour, par des initiatives parlementaires et gouvernementales en provenance des deux grands partis.

Les salariés qui ont pris ce train ont tort car, en face, on sait ce que se syndiquer veut dire. Les syndicats patronaux pullulent, sont disciplinés et organisés, et ils n’ont pas même besoin des escroqueries à échelle phénoménale de tel continuateur des deux cents familles pour être puissants et riches.

Je sais bien que, dans quantités d’entreprises françaises, il est impossible de se syndiquer sous peine de subir du harcèlement débouchant sur une démission ou un renvoi. La chute du taux de syndicalisation dans la fonction publique est le fait des salariés eux-mêmes, même si je n’oublie pas la formidable pression des superstructures qui vantent l’individualisme, les solutions personnelles, bref la débrouille.

Dans la lutte contre la Loi Pécresse, les universitaires qui n’ont pas rejoint le mouvement étudiant, alors qu’ils avaient marqué leur sympathie deux ans plus tôt lors de l’affaire du CPE qui les concernait moins directement, firent du sarkozysme même s’ils n’avaient pas voté pour lui. Ils furent " pragmatiques " , recherchant " l’efficacité " et voulant " responsabiliser " les étudiants, par exemple en augmentant les droits d’inscription. Bref, ils réagirent en usagers. Une porte d’amphi bloquée les fit tout autant se hérisser qu’un métro à l’arrêt. S’ils avaient agi en citoyens, s’ils avaient bien voulu se souvenir que ce n’est pas aux malades de payer pour leur maladie ou aux étudiants de payer pour leurs études, le pouvoir n’aurait pas triomphé aussi aisément.

Si les syndicats étaient beaucoup plus représentatifs, ils feraient office de réels contre-pouvoirs, on entendrait beaucoup mieux leur parole collective.Sun dikê.

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