lundi 16 mai 2016

Etre issu d'un peuple qui a beaucoup souffert n’excuse pas tout

Depuis plusieurs mois, un étudiant d’Oxford du nom de Ntokozo Qwabe a pris la tête d’une campagne vivant à faire enlever de son socle la statue de Cecil Rhodes qui trône dans la ville universitaire.

Rhodes (qui donna son nom à la Rhodésie, devenue la Zambie et le Zimbabwé) fut l’un des plus éclatants produits de l’impérialisme britannique. Fils de révérend, il fonda la British South Africa Company aux fins d’exploiter les territoires au nord du Transval, et la compagnie De Beers qui commercialise encore aujourd’hui 40% du diamant mondial. Rhodes fut par ailleurs Premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1896.

Si Cecil Rhodes possède sa statue à Oxford (devant le collège Oriel), ce n’est pas – directement – pour ses qualités d’impérialistes mais parce qu’il créa à la fin de sa vie les bourses Rhodes. Celles-ci permettent aux récipiendaires d’étudier gratuitement à Oxford pendant un à trois ans. La plupart des boursiers sont originaires du Commonwealth, mais aussi d’Allemagne, des Etats-Unis et, plus récemment, de Chine. Parmi les plus connus : Bill Clinton, Tony Abbott (Premier ministre d’Australie) ou le philosophe George Steiner. En 2015, la Fondation Rhodes attribua à 89 étudiants des bourses à hauteur de 8 millions de livres. Dans son testament, Rhodes avait marqué qu’« aucun étudiant ne doit être disqualifié pour l'obtention d'une bourse d'études en raison de sa race ou de ses opinions religieuses ». Ne nous berçons pas d’illusions. La générosité de Rhodes répondait à un projet politique simple : contribuer à asseoir l’impérialisme britannique en Afrique du Sud en formant ses meilleures élites dans sa meilleure université.




La campagne anti statue de Rhodes est parfaitement compréhensible. Personnellement, je n’y adhère pas dans la mesure où l’exploiteur et impérialiste, mort il y a 114 ans, n’a fait aucun mal à Oxford et à ses étudiants, bien au contraire. Et s’il est un étudiant à qui Rhodes a fait beaucoup de bien, c’est justement le susnommé Ntokozo Qwabe (ancien étudiant de l’université du Natal) qui a bénéficié en 2013, au mérite, des largesses du magnat britannique pour étudier le droit et les sciences politiques.





Vous me direz qu’on a le droit de ne pas avoir la reconnaissance du ventre, de mordre la main qui vous nourrit, de cracher à la figure de celui sans qui vous ne seriez qu’un étudiant anonyme de l’hémisphère austral. Mettons. Il s’agit là d’un comportement assez infantile mais il faut bien que jeunesse se passe. Le problème est que Qwabe, boursier Rhodes devant l’Eternel, a montré tout récemment, sous ses airs angéliques, son vrai visage de jeune raciste – peut-être de jeune fasciste .




Lorsque l’on consomme dans un restaurant ou dans un bar en pays anglophone, on donne un pourboire après avoir réglé l’addition. Il s’agit d’un usage – disons – obligatoire. Owabe se trouvait récemment dans un bar d’Afrique du Sud, servi par une employée blanche. Il lui refusa tout pourboire en écrivant sur l'addition le commentaire suivant : « Je vous donnerai un pourboire quand vous m’aurez rendu ma terre. » La jeune femme éclata en larmes. Plus tard, la petite frappe oxfordienne moqua en ligne ses « sanglots de Blanche » : « elle voit la note, se met à trembler, s’éloigne de nous et éclate en sanglots typiques de Blanche ». Il se trouve que la serveuse avait pris cet emploi pour payer les frais d’hospitalisation de sa mère atteinte d'un cancer (les Sud-Africains créeront la sécurité sociale pour tous quand ils auront le temps). Chevalier noir des temps modernes, Owabe aurait pu s’en prendre à la famille de Mandela qui est devenue multi-milliardaire en dix ans, ou aux huit archi milliardaires qui tiennent à eux seuls l'économie de l'Afrique du Sud. Il aurait pu faire la liste des requins de la finance anglaise qui cachent leur fortune dans des îles tropicales. Non, il a préféré jouir de harceler une pauvre femme qui avait eu la double infortune d’être blanche et d'avoir croisé son chemin.

Naturellement, cette misérable histoire a fait le tour de la toile sud-africaine. Des gens de cœur sont parvenus à réunir 2 000 livres pour aider la serveuse et sa mère.

Il est étrange ce monde dans lequel un brillant petit Noir d’Afrique du Sud candidate à une bourse blanche et raciste, profite du saint des saints de la culture pour revenir chez lui et s’en prendre de manière aussi vulgaire à une personne qui travaille pour vivre et ne pas mourir alors que lui vit pour travailler.


Est-il besoin de signaler qu’après les attentats de Paris, Owabe a fait savoir sur son compte Facebook – assimilant le drapeau français au drapeau nazi – qu’il ne soutenait pas la France, tant qu’elle « terroriserait et bombarderait l’Afrique [qu’il orthographie « Afrika »] et le Moyen Orient pour ses intérêts impérialistes » ? Il est besoin !

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