jeudi 1 septembre 2016

De la religion, partout !


Des lecteurs s’étonnent, s’énervent, de me voir, pensent-ils, stigmatiser la religion musulmane. Ce n’est pas le cas. Ce qui m’horripile, et ce que je redoute, c’est le retour massif de toutes les religions – y compris celles qui ne sont pas monothéistes – dans l’espace séculier. Au point que les paradigmes universels aujourd’hui ne sont plus les axes gauche-droite, capitalisme-socialisme, pauvreté-richesse, pacifisme-bellicisme mais vraie religion-mécréance.

Dans un pays de tradition chrétienne comme la France, où les églises sont vides (qu’en est-il des synagogues et des temples ?), bien des pratiques sont évaluées à l’aune des valeurs de la seule religion dynamique : l’islam. Plus généralement, à l’échelle du monde, on ne parle que de religion. La religion détermine tout, est la seule et unique grille de lecture : des attentats terroristes qui font 100 morts ou de l’organisation de goûters dans les écoles de la République où il ne saurait être question que des bonbons bien chimiques à base de gélatine côtoient des cornes de gazelle. Sans parler de ces adventistes du septième jour qui refusent de passer des examens le samedi ou des juifs orthodoxes londonniens qui interdisent aux femmes de leur communauté de conduire des voiture pour préserver leur “décence”.

On attribue à l’athée André Malraux une phrase qu’il n’a jamais prononcée, sûrement parce qu’elle sonnait de manière fortement malrucienne : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » En fait Malraux estimait que la tâche du XXIe siècle serait de « réintroduire les dieux » après que le XXe siècle eut, avec la psychanalyse, réintroduit les démons dans l’homme. Malraux ne souhaitait certainement pas le fracas du fondamentalisme et de l’identitaire. Il espérait un supplément d’âme pour dépasser ce XXe siècle qui avait été le plus meurtrier et le plus barbare de l’histoire de l’humanité. Il voulait la réintroduction des dieux dans l’homme, davantage de religiosité car Dieu avait été absent d’Auschwitz et d’Hiroshima. Il souhaitait une spiritualité à la mesure des êtres humains. Pas de révélations puisées dans des textes collectés il y a des siècles mais une aspiration vers l’absolu, des engagements collectifs pour des humains qui sont ce qu’ils font et non ce que l'on dit qu'ils sont. On a bien vu que les XIXe et XXe siècles ont tout fait pour libérer l’humanité de la tutelle du divin. Le marxisme, en tant que réponse sociale universelle à la transcendance a échoué et l’on a observé l’Eglise orthodoxe revenir en force dans une Russie qu’elle n’avait jamais quittée. Le pan arabisme de l’après Deuxième Guerre mondiale n' pas réussi à rendre l’islam caduc. Le fondamentalisme chrétien a repris de la vigueur, surtout après le passage de Benoît XVI au Vatican. Malraux n’excluait pas « la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire ». S’il s’agissait d’un conflit entre toutes les spiritualités visant à l’hégémonie, il est à craindre que le politique (la recherche d’une organisation rationnelle du monde) ait déjà été largement recouvert par le religieux et l’irrationnel.

De la religion, partout !

Je ne voudrais pas jouer aux anciens combattants mais j’ai connu une époque où les religions – plus exactement les faits religieux – inféraient très peu dans le débat politique. Quand je suis gamin, autour de moi, on milite contre la guerre d’Algérie, pour l’indépendance de ces “ départements français ”. Du côté algérien, la parole d’un Cheikh Ben Badis « L'islam est ma religion, l'arabe est ma langue, l'Algérie est ma patrie » est largement minoritaire face à l’assimilationnisme de Ferhat Abbas et à l’engagement politique et militaire du FLN. En 1962, je participe à ma première manifestation et action solidaire : le gouvernement français est dirigé par le banquier de chez Rothschild (déjà !), le féroce – quoique très cultivé – Pompidou qui ne veut rien lâcher aux mineurs de charbon qui s’enfoncent dans la misère. Je collecte des sous pour que les gosses aient à manger. Une forte minorité de ces travailleurs est marocaine. Il n’est jamais question de religion. En décembre 1967, alors que la pilule a été inventée onze ans plus tôt, la loi Neuwirth sur la contraception donne la liberté de choisir aux femmes. Le combat parlementaire a été rude : onze propositions de loi en dix ans. On aura entendu le ministre de la Justice Jean Foyer, catholique bon teint, hurler « La contraception est l’abominable exploitation de ce qu’il y a d’animal et de porcin dans l’âme humaine ». L’Eglise catholique finit par comprendre qu’il ne sert à rien de mener un combat d’arrière garde face au député Lucien Neuwirth (qui est juif par son père mais que l'on n'a jamais vu porter la kippa contrairement à Valls qui n'est pas juif) et à une minorité de la majorité de droite. Les innombrables manifestations contre la guerre du Vietnam n’ont rien à voir avec la religion. Au début des années 1970, pour ne citer que ce combat, on milite contre la vente en France des oranges de l’Afrique du Sud raciste de la marque Outspan. Certes, l’Eglise protestante est partie prenante mais le combat est totalement politique.

Puisque je puise dans mes souvenirs de militant séculier, je terminerai par un travail qui m’a, d’une certaine manière, constitué. En 1971, je publie un livre sur les marges de la société en Grande-Bretagne. J’ai écrit cet ouvrage dans les deux années qui ont précédé, donc dans la foulée des événements de Mai 68, qui eurent peu à voir avec la religion, c'est une évidence. La moitié de cet ouvrage est consacrée aux minorités – soyons politiquement correct – non caucasiennes – qui résident en Grande-Bretagne (la notion de caucasien – on dit aussi caucasoïde ou europoïde ! –  a été inventé par un anthropologue allemand qui considérait que dans le Caucase vivait la plus belle des races humaines, les Géorgiens, qui constituaient, selon lui,  le berceau de la race humaine. La nomenclature politiquement correcte de Caucasien qui nous vient des Etats-Unis et de Grande-bretagne est donc fondamentalement raciste !). Les sociologues d’outre-Manche de l’époque, largement de gauche, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, parlent alors de « coloured immigration ». Dans mon livre, j’utilise donc l’expression « gens de couleurs ». Pas une seule fois je n’emploie le terme “ musulman ” alors que, pour ne parler que d’eux, les immigrés d’origine pakistanaise sont de confession musulmane à 98%. Le mot “ catholique ” apparaît deux fois sous ma plume. Le mot “ protestant ” trois fois. Je ne parle jamais des sikhs (qui ont aujourd’hui le droit des porter un poignard “ religieux ” lorsqu’ils prennent un avion de ligne et qui sont dispensés du port du casque s’ils sont motards dans la police). Uwe Kitzinger, un éminent professeur d’Oxford qui a eu la gentillesse de préfacer mon livre, mentionne, au sens figuré, le concept de purdah, qui vient d’un mot urdu qui signifie le rideau qui sépare les hommes des femmes chez les hindous comme chez les musulmans du sous-continent indien. Mais son analyse est culturelle (et non cultuelle) et politique : « Le schisme qui divise l'Angleterre en plusieurs cultures (une culture principale et une gamme de mouvements culturels complémentaires) est-il aujourd'hui plus profond qu'autrefois ? L'Angleterre est-elle plus divisée aujourd'hui entre les Anglais “ tout court ” et les “ autres Anglais ” que, par exemple, dans les années vingt (celles de la grève générale) et des Deux Nations de Disraeli ? Sans parler de l'époque du mouvement nationaliste irlandais, des suffragettes, des complots d'officiers et du gouvernement réformiste libéral qui, selon certains historiens, ne trouvèrent leur salut que grâce au déclenchement de la Première Guerre mondiale ? Ou que dire encore des rivalités entre Cavaliers et Têtes Rondes, des guerres de religion, ou des invasions successives du premier millénaire de notre ère ? L'Angleterre est-elle plus accueillante aujourd'hui pour les novateurs expatriés qu'à l'époque de Marx, de la Première Internationale ou de Freud ? Les divisions idéologiques sont-elles plus marquées de nos jours que dans les années trente ?

Peut-on comparer la contestation étudiante, la xénophobie des ouvriers, le dynamisme des jeunes et l'opportunisme des hommes politiques anglais à ce qui se passe aux Etats-Unis, en Allemagne de l'Ouest, en France, en Pologne ou au Japon ? Ce type de rapprochement par-delà les frontières est délicat à effectuer. Néanmoins, une question reste à poser : cette crise d'identité que traverse l'Angleterre fait-elle exception dans le cadre de la société d'abondance occidentale, alors que les besoins matériels ne sont plus, en principe du moins, critiques, lorsque la lassitude et la réflexion sur soi-même, l'affinement de la sensibilité individuelle et les problèmes de la vie en commun soulèvent des questions auxquelles les philosophies et les religions anciennes ne répondent pas toujours d'une manière satisfaisante, mais que des familles spirituelles cherchent à explorer tout au long de chemins tantôt centripètes, tantôt centrifuges ? »

A l’époque, les minorités politiques était majoritairement de gauche. Aujourd’hui, elles proviennent des droites religieuses, celle du communautarisme islamiste au premier chef. La nature a horreur du vide. Le capitalisme financier ayant siphonné la pensée politique, l’islam est en train de devenir, sous nos latitudes, le marqueur politique de référence. Tout cela parce que rares sont désormais ceux qui croient dans l'idéologie du capitalisme financier avec ses humains régulés par un marché qui, en fait, appauvrit durablement (dans les pays riches, on en est bientôt à la troisième génération), des humains certes connectés mais hors sol. L'agonie de cette dictature a la vie dure. Elle est en train de mourir mais le neuf tarde à naître. C'est dans cette hésitation, dans cette confusion, dans ce clair-obscur dont parlait Gramsci, que, de la religion, « naissent les monstres. »


PS : Dans son blog, Pierre Verhas cite Didier Daeninckx sur la confusion que j'évoquais à l'instant, sur les dérives folles qui bouleversent les esprits de beaucoup :

« Et ce n’est pas par hasard que l’accélération a coïncidé avec les dernières élections municipales. Par son importance à Aubervilliers, la communauté musulmane a été l’une des clés et l’un des enjeux du scrutin. Le Parti de gauche local n’a pas hésité, par exemple, à placer sur les rangs un futur maire adjoint qui engageait le dialogue avec les troupes d’Alain Soral sur le site conspirationniste MetaTV, la Palestine servant de ciment. Un autre futur maire adjoint, membre du Parti communiste, s’amusait à relayer les messages de La Manif pour tous afin d’inciter les « frères » à se détourner des socialistes, vecteurs de décadence. La réalité n’a pas tardé à leur rendre la monnaie de leur pièce. 


La semaine dernière, l’un des principaux agents électoraux du Front de gauche local, promu responsable d’un des services municipaux les plus importants au mépris de toutes les règles administratives, a été condamné à six mois de prison. Il avait menacé de mort un voisin, lui promettant de l’égorger, tout en brandissant un bonnet siglé Daech. Une perquisition à son domicile a permis de trouver des drapeaux de la même organisation djihadiste. » 



En ce qui me concerne, depuis trois ans, ici, j’ai vu les corps s’éloigner, les embrassades se raréfier, les barbes et les voiles pousser, les regards s’aiguiser, les murs s’élever. Il a fallu s’habituer à croiser des imams rétrogrades installés dès le petit matin dans les commerces, pour y faire pression sur les fidèles. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire