vendredi 24 mars 2017

Parfumé mais puant


Il y a une petite dizaine d’années, j’ai publié dans Le Grand Soir un article intitulé “Power without Responsibility” (le pouvoir sans la responsabilité du pouvoir) à l’occasion d’un entretien entre Jean-Luc Mélenchon et Olivier Duhamel, européiste acharné (ancien membre du Parti socialiste), Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, et, si je me souviens bien, Jérôme Jaffré, directeur d’un grand institut de sondages français. Il s’agissait en fait d’un affrontement entre Mélenchon et trois personnalités partageant exactement les mêmes vues sur – entre autre – l’Europe.

Dans cet article, j’écrivais ceci :

« Je voudrais insister ici sur le mélange des genres, c’est-à-dire le débat entre des hommes politiques et des observateurs de la politique. Élus, les hommes politiques sont responsables de leurs actes et de leurs paroles. Les observateurs, quant à eux, sont responsables devant leurs actionnaires, mais pas devant les citoyens. Le discours d’un homme politique ne peut donc pas être de même nature que celui d’un observateur. Le pouvoir médiatique n’ayant cessé de s’étendre depuis une quarantaine d’années, à mesure que celui des politiques diminuait, les figures de proue de la presse, de la radio et de la télévision ont pu exercer un magistère de la parole sans aucune sanction citoyenne. L’homme politique rend des comptes politiques, l’homme des médias rend des comptes économiques.

En Angleterre, autrefois, on disait des maîtresses des rois (ou de leurs mignons) qu’elles ou ils exerçaient le pouvoir sans la responsabilité du pouvoir (« power without responsibility »). C’est exactement le cas, aujourd’hui, des Barbier, Colombani, Joffrin, Duhamel (Alain), Giesbert, July et d’une petite poignée d’autres journalistes « prestigieux » qui tournent dans tous les médias, se renvoient l’ascenseur, s’invitent, disent du bien les uns des autres.

Bref, les politiques sont piégés. Piégés devant l’irresponsabilité de leurs contradicteurs, piégés par un système de discours et de représentation qu’ils ont accepté, quand ils ne l’ont pas encouragé, comme le démontrait, il y a plus de trente ans, Roger-Gérard Schwartzenberg dans L’État spectacle. »

Depuis, rien n’a changé, bien au contraire.

Pluralistes, cela va de soi, les médias audio-télévisuels invitent les hommes et femmes politiques toutes tendances confondues, en particulier lors des grandes campagnes électorales. Quantitativement, cela a été prouvé à maintes reprises, ces hommes et ces femmes sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres. Voir, par exemple, cette démonstration récente de Jean-Baptiste Clémentdans Le Grand Soir.

Mais les médias ne jouent pas que sur le temps de parole. Ils utilisent la tactique insidieuse que je dénonçais en 2008 : ils se placent sur le même plan que le personnel politique, ils n’hésitent pas à jouer à trois ou quatre contre un et ils partent quasiment toujours du même présupposé, en gros celui de la vérité du dogme du capitalisme financier. Si cela ne suffit pas – il est des politiques coriaces et qui ne viennent pas sans biscuits du style Mélenchon, Philippot ou Dupont-Aignan – deux techniques sont alors utilisées, l’une muette, l’autre de paroles. Par des mimiques plus ou moins méprisantes ou de surprise feinte mais outragée, les journalistes expriment leur grand doute, leur effarement face aux propos tenus par ceux des politiques qui ne se situent pas dans la grande mouvance centriste, bien-pensante, capitaliste et européenne. Anne-Sophie Lapix est passée maîtresse en la matière (avec ses complices Lemoine et Cohen). D’où la réaction de Mélenchon suite à son dernier passage dans leur émission, du service public, rappelons-le : « c’était parfumé mais puant ». Malmené par la même petite bande, Philippot avait réagi sèchement après-coup : « Après, il n’y a pas eu de violence ou quoi que ce soit. Moi, je ressens cette interview comme une forme de violence. Quand on me parle avec ce ton-là, je sens un mépris pour moi. Mais, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude de tout cela ». Il avait été plus cinglant encore pendant l’émission : « Vous trouvez que vous êtes élégante madame ? Vous êtes d’une arrogance permanente. Vous me regardez avec un mépris terrible ». Par parenthèse, voilà où nous en sommes aujourd’hui : éprouver une certaine compassion pour le dirigeant d’un parti d’extrême droite qui fut autrefois chevènementiste. La deuxième technique consiste à empêcher celui qu’il faut soumettre de développer sa pensée. Il peut être brutalement interrompu au milieu d’une phrase au prétexte qu’il faut « rendre l’antenne », qu’on n’a « plus le temps », qu’on doit « aborder une autre question ». Lorsque les interviewers sont en bande organisée, un questionneur en second peut poser une question dans la question ou une question hors de la question. L’interviewé doit, en un dixième de seconde pour garder la parole, choisir la question à laquelle il doit répondre, ce qui est déstabilisant et amoindrit la force du raisonnement. Et puis il y a la méthode Lenglet, particulièrement fielleuse, qui consiste, en prétextant « poser une simple question », à transformer le questionnement en un débat dont le cadre est la pensée dominante. Et je ne parle pas des jeunes gens hystériques du style Fabien Namias (fils de son père) qui transforment leurs entretiens en combats de boxe.

Alors que faire ? J’ai une petite idée : interrompre le journaliste au beau milieu de sa question par un « je vois où vous voulez en venir », une fois, deux fois, trois fois. Et conclure par un « vous voyez ce que cela donne quand on a affaire à des méthodes de malotru ».


Parfumé mais puant

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