vendredi 16 juin 2017

Affaire Grégory : encore et toujours


Tout le monde a, semble-t-il, eu faux : l'insensée Duras qui voulut tuer, symboliquement certes, la mère de Grégory pour un bon mot, la presse de caniveau qui aurait tant aimé que Christine Villemin fût coupable car rien ne fait plus vendre qu'un infanticide, les gendarmes de la première équipe qui ne concevaient pas d'autre coupable que Bernard Laroche, le père de Grégory qui assassina de manière on ne peut plus préméditée (et annoncée), devant son enfant de quatre ans, un bougre dont le “petit” juge Lambert avait fini par croire qu'il était innocent, et que la gendarmerie locale avait laissé sans protection. Ce n'était tout de même pas parce qu'il était militant CGT que la Justice lui avait réservé un chien de sa chienne...

L'affaire est peut-être en train de rebondir. Si l'assassin appartient à la famille du père de Grégory, comment le secret a-t-il pu être gardé pendant trente-cinq ans ? Comment tant de haine a-t-elle pu servir à ce point d'étouffoir ?

Je propose de nouveau un article publié une première fois en 2007, et une deuxième fois en 2014.


Pourquoi est-on marqué à jamais par un meurtre, par la personnalité d’un assassin ou par celle d’une victime ? Comme pour le reste, parce que ces tragédies surviennent à un moment adéquat de notre existence : nous sommes réceptifs, concernés, en empathie avec les victimes ou avec les inculpés quand nous les croyons innocents. Et puis, tout est construction. On se passionne parce qu’on nous passionne.

Je vécus cette affaire avec une très grande empathie car j’avais un fils guère plus âgé que le martyr de la Vologne. Mais, dans le même temps, ce drame me parvint de manière atténuée car je résidais à l’époque à plusieurs milliers de kilomètres de la France et n’avais pas accès à la radio ou à la télévision française. Je dus me contenter des articles du Monde, de Libération et des photos de Paris Match, que je feuilletais chez mon marchand de journaux (sans l’acheter car je savais que tout ce que publiait l’hebdomadaire était – d’une manière ou d’une autre – bidonné et que, de toute façon, il était hors de question pour moi d’enrichir cette publication de droite et populiste).

Le temps le plus fort de cette affaire fut pour moi, vécu “ écrit ” oblige, l’article de Marguerite Duras publié en dernière page de Libération. Dans mon milieu (universitaires, professeurs de littérature), Duras jouissait d’un très grand prestige. De plus, une de mes collègues était une des meilleures spécialistes de l’œuvre de l’amie du Président de la République de l’époque. Cette amitié avait fait de l’auteur d’India Song un écrivain quasi officiel. Nous fûmes assommés par cet article scandaleux. Duras (qui, soyons méchant et réaliste, ne buvait pas que de l’eau minérale des Vosges) était donc allée se promener quelques heures dans le village de la famille Villemin, y avait respiré les effluves de la mort, s’était imprégnée du mystère de l’affaire et avait laissé tomber son verdict : « Christine V. » (comme elle l’avait appelée dans une fine allusion à l’un des titres de ses romans, Le ravissement de Lol V. Stein) pouvait bien avoir tué son enfant : elle n’en était pas moins «sublime, forcément sublime ». Ces trois mots firent le tour du monde et nous arrachèrent à la fois des grincements de dents et des tapages sur les cuisses à n’en plus finir. Nous étions furieux car elle condamnait la mère sans rien savoir, et nous nous bidonnions à coups de « toi, tu es crétin, forcément crétin », « lui il est cocu, forcément cocu ».


Au moment de la publication de cet article, j’avais l’intuition (infondée) que Christine était coupable. Mais jamais je n’aurais rendu public mon sentiment, même au prix d’un bon mot. Pourquoi avais-je pu penser cela ? Il avait été dit que, lorsqu’on avait retrouvé le cadavre de l’enfant, son visage était très serein. J’avais donc imaginé que son assassin ne pouvait être qu’un très proche, sa mère au premier chef, qui aurait présenté à l’enfant cet emmaillotement dans un sac plastique comme un jeu. Mais, malgré la distance, j’avais entendu dire – juste après la libération de Laroche – qu’un journaliste avait hélé le “ petit ” juge très inexpérimenté par un : «Alors, la salope, tu la coffres ? » Si ces professionnels du caniveau se permettaient ce genre d’apostrophe, c’est que la culpabilité de Christine Villemin était loin d’être acquise.

À la lecture de l’article de Libération, la mère de Grégory, que Duras n’avait pas pris la peine de rencontrer, s’était écriée : Mais elle folle, celle-là. » Elle était folle (forcément folle) au sens où elle avait voulu donner du sens à ce qui n’en avait pas, où elle s’était piquée de créer un mythe avec une geste qui n’existait que dans son cerveau d’écrivain officiel et fatigué. Avait-elle prêté ses propres frustrations à cette mère éplorée en imaginant qu’un infanticide pouvait donner du relief à l’existence de la petite provinciale qui reprenait la vie qu’elle avait donnée et qui pouvait enfin donner plus de poids à son désir qu’à celui de son mari ?

Des années plus tard, Duras en rajouta une couche dans une interview accordée à Christine Ockrent. Dans une vaticination encore plus délirante que la première, elle expliqua qu’il valait mieux qu’on ne sache pas qui avait tué, « même pour Christine Villemin parce qu’on ne peut pas recommencer à se tromper. » Du haut de sa grandeur morale et au nom d’un féminisme recuit, elle aurait « pardonné » à Christine Villemin car elle aurait pardonné à toutes les femmes car « toutes les femmes sont, dans le regard des hommes, comme des vaches dans l’étable. »

Pire encore que les affaires Dominici et Besnard, l’enquête consécutive à l’assassinat du petit Grégory fit l’objet de bavures et dérapages absolument scandaleux. Le secret de l’instruction fut violé à des dizaines de reprises, les médias s’acharnèrent sur la mère de l’enfant, les premiers enquêteurs bâclèrent leurs travaux d’investigation, le juge d’instruction ne fut jamais à la hauteur. Peu de temps après le non-lieu accordé à Christine Villemin, je fis la connaissance, dans une association de secours de gauche (disons populaire) d’un gendarme proche de la retraite qui avait fait partie de la première équipe d’enquêteurs. Il me dit que pour lui et ses collègues, gendarmes de terrain, connaissant tout le monde dans la vallée de la Vologne, il n’y avait aucun doute : c’est Laroche qui avait tué. Cette certitude – forgée 48 heures après la découverte du corps – n’en faisait naturellement pas un coupable, mais expliquait l’antagonisme entre les gendarmes et le juge Lambert pour qui Christine avait tué son fils.

Par la faute de ce juge qui l’a harcelée, et aussi des médias qui l’ont manipulée, cette jeune femme a connu des souffrances abominables : celles d’une femme qui perd son enfant dans des conditions dramatiques, qu’on accuse d’avoir trompé son mari et d’avoir conçu le gamin avec quelqu’un d’autre, qu’un corbeau nargue en lui disant qu’elle avait mérité ce qu’elle endurait.

Pour leur défense, les époux Villemin avaient “ choisi ” Maître Garaud (proposé, semble-t-il, par Europe 1 qui espérait bénéficier d’informations exclusives), un homme d’extrême droite, favorable au rétablissement de la peine de mort, alors que les Laroche avaient choisi un avocat proche du Parti communiste. Les honoraires de Garaud s’élevèrent à environ 2 millions de Francs. Pour payer, les Villemin acceptèrent de faire des photos pour Paris-Match, ce qui contribua à jeter l’opprobre sur la mère de l’enfant dans l’opinion publique.

Le dossier va être rouvert. Des traces d’ADN ayant complètement disculpé les parents de Grégory vont peut-être mener la justice au coupable.

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