vendredi 14 juillet 2017

Quand les camps de concentration étaient tus




Á l’occasion de la disparition de Simone Veil, il a été de nouveau question – entre autres dans des enregistrements de l’ancienne ministre de la Santé – de la manière dont les déportés survivants des camps de concentration ont été accueillis en France, et des longues années qui se sont écoulées avant que les historiens, les médias, donc l’opinion publique, n’évoquent en détail la machine concentrationnaire.

Je sais que cet aspect étrange de l’historiographie des conséquences de la Seconde Guerre mondiale a fait l’objet, depuis une trentaine d’années, de nombreuses études historiques, sociologiques, psychologiques. Je n’ai rien à y ajouter, n’ayant aucune compétence particulière en la matière. J’évoquerai simplement ici un souvenir personnel qui apportera sa pierre au mur de méconnaissance et d’incompréhension qui a longtemps entouré la déportation et le massacre à échelle industrielle de plusieurs populations européennes, les juifs au premier chef.

Nous sommes en 1958. J’ai dix ans. J’habite Boulevard Basly à Hénin-Liétard et, par un beau jeudi printanier, je joue aux osselets chez deux amis frères dont les parents sont, comme les miens, instituteurs. Nous sommes sur la terrasse à côté de la cuisine où les parents de mes copains devisent avec un homme d’une quarantaine d’années que je ne connais pas. Je trouve étrange que ces adultes parlent à voix basse mais je préfère me concentrer sur mes osselets. Je vois bien que, de temps en temps, l’aîné des deux frères tend l’oreille. Intrigué, je fais comme lui et j’entends alors des mots glaçants que je ne connais pas ou que je ne rattache à aucun contexte: « concentration », « fours crématoires », « kapos », « affamé », « chiens policiers », « SS », « Auschwitz », « barbelés ». Je demande alors à l’aîné des deux frères s’il sait de quoi parlent les adultes. Il sait (mais pas son jeune frère) et ne m’en a jamais rien dit. En chuchotant, il m’explique longuement le système concentrationnaire.

Quand les camps de concentration étaient tus

La découverte de cette réalité abominable me sidère. Á la maison, la parole est plutôt libre (on parle beaucoup de la guerre d’Algérie), mais mes parents n’ont jamais évoqué devant moi cette horreur alors que les camps ont été libérés treize ans auparavant. En 1958, je ne sais pas ce qu’est un juif, d’autant qu’il n’y en a très peu dans le bassin minier du Pas-de-Calais.

De retour à la maison, je mets les pieds dans le plat et je contrains littéralement mes parents à m’en dire plus. Mon père finit par satisfaire à ma demande et m’apprend qu’un de ses oncles, déporté pour faits de résistance dans un camp de concentration, a été exécuté en 1944 dans ce même camp pour avoir élaboré une tentative d’évasion.

Plus jamais je n’évoquerai avec mes parents leur appréhension, leur gêne, leur mutisme qui resteront pour moi un mystère. Un mystère évidemment construit, collectif et sûrement pas individuel.

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