lundi 4 septembre 2017

Valère Staraselski. Le Parlement des cigognes. Paris : le cherche midi, 2017



On a plaisir à lire Staraselski, son écriture concrète, directe, expressionniste : « Au matin, derrière les hautes et doubles fenêtres de l’hôtel, toutes garnies de lourds rideaux festonnés, le jour n’en finissait pas de se lever. L’aube durait. On aurait dit qu’un reste de nuit gisait au dehors. Cependant, sans que rien ne l’ait laissé prévoir, ce jour gris, ce jour couleur ciment, s’annula brusquement. Une grosse boule, à la fois puissante et resplendissante apparut. Durant l’espace d’un moment, la lumière qu’elle dispensait rendit les toits enneigés de Cracovie d’une incroyable couleur orangée. »


Âgé de soixante ans, Valère Staraselki a produit une œuvre (romans, essais, nouvelles) aussi multiple et variée que sa vie professionnelle. Avec Le Parlement des cigognes, il nous invite – en faisant se rencontrer un nonagénaire juif polonais et de jeunes Français en voyage professionnel à Cracovie – à un devoir de mémoire concernant le sort des juifs de Pologne sous la botte nazie et, en fin d’ouvrage, sous le régime communiste (les khouligans fascistes).


Aux Juifs, les nazis disaient ne rien vouloir prendre : seulement la vie. Et ils déployèrent des trésors d’horreur imaginative pour massacrer des dizaines de milliers de civils parfaitement innocents. Avec la participation, résignée ou enthousiaste de nombreux Polonais catholiques.


Le devoir de mémoire est d’autant plus difficile à accomplir que les assassins ont fait disparaître toutes les traces de leurs crimes : les cimetières juifs avec leurs pierres tombales qui leur servirent à construire des routes, les ultimes témoins de 1945. Les Polonais « de souche » leur prêtèrent main forte par peur des représailles : il fallait tuer les Juifs pour ne pas être tués par eux après la victoire des alliés. Tous ces Polonais se connaissaient : un habitant de Kracovie sur quatre était juif. Un Juif dénoncé rapportait un kilo de sucre.


Staraselski nous emmène dans le décor naturel de La Liste Schindler de Spielberg, au camp de Płaszów, là où l’espérance de vie était de quatre semaines. Les Russes approchant, les Allemands firent exhumer et brûler 9 000 cadavres par une unité de Juifs contraints. Les exécutants furent ensuite massacrés. Pas de témoins ! Cela dit, autant les Polonais d’aujourd’hui organisent des voyages organisés vers Auschwitz, autant Cracovie ne figure pas – à l’exception de l’usine de Schindler – au programme des tour-opérateurs. Il y aurait pourtant beaucoup à faire, ne serait-ce que respirer la mort « jusque dans les mouvements de l’air et les rayons du soleil ». On comprendrait alors pourquoi les Juifs des ghettos partirent ensemble, résignés, à la mort : « Á quoi bon vivre s’il ne reste plus personne ! Qu’il m’arrive ce qu’il arrive aux autres, voilà ce que nous pensions … Tous ! Plutôt la mort que la séparation ! … »


Le nonagénaire parviendra par miracle à s’échapper d’un train qui le menait vers un camp d’extermination, à se dissimuler des soldats allemands qui le traquèrent et des Polonais qui le pistèrent. De cette fuite infernale, il gardera les stigmates de taches de vieillesse qu’il baptisera tristement « fleurs de cimetière ».


Pour le héros du livre, lorsque l’on a tout perdu, il ne reste que la beauté à contempler et à saisir : « les papillons qui voltigent dans les branchages, la brise pure de la forêt et des champs, les crépuscules qui s’allongent au printemps et même le cri des corneilles qui annoncent le soir. » Donc la beauté des cigognes en plein massacre. Dans ce monde de l’abomination, seules les cigognes furent porteuses d’humanité. La Pologne en compte encore 160 000. Quand elles font claquer leur bec, des cigognes en assemblée peuvent faire penser à un débat d’élus en démocratie. Jamais les cigognes, jamais aucun animal ne s’est rendu coupable de massacres à échelle industrielle.

Note de lecture (169)

Œuvre de Monique Lauray, inspirée par “ Nuit et Brouillard" de Jean Ferrat, offerte au Musée national de la Résistance.

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