vendredi 3 novembre 2017

Robert Chaudenson. Hollandexit, mai 2015-mai 2017



Après Putain, trois ans, Robert Chaudenson a réuni la suite de ses articles de blog publiés, entre autres, dans les colonnes de Mediapart. Résultat : on pourra les relire dans dix ans, ils seront toujours aussi nécessaires.

Une petite anecdote personnelle qui intéressera sûrement l’éminent sociolinguiste qu’est l'auteur. Il y a une quinzaine d’années, je me retrouvais pour des raisons familiales dans un chef-lieu de canton du Lot-et-Garonne, une bourgade que je connais depuis 1954 et où la piscine olympique (inaugurée par Christine Caron) dans laquelle je barbotais quand j’étais ado fut incendiée un beau jour d’avril 1999 par des esprits facétieux et désœuvrés après avoir été fermée parce que saccagée par ces mêmes esprits.

Note de lecture (171)

Tournant le dos à ce désastre, des édiles hilares !

Je venais de loin et j’avais un peu d’avance. En ce bel après-midi de mai, je m'installai à la terrasse d’un café pour un citron pressé revigorant. Á deux mètres de moi, trois djeuns d’origine maghrébine, dont deux avaient incontestablement moins de 16 ans et auraient dû être en classe, devisaient tranquillement. Entre autre de football. J’écoutais d’une oreille distraite quand, soudain, je notai ce qu’avait d’incongru leur parler. Ces gosses, nés dans ce canton, comme leurs parents et leurs grands-parents (dans ce département, l’immigration nord-africaine date d’avant la guerre d’Algérie), ces gosses, qui n’avaient jamais été plus loin qu’Agen ou Villeneuve-sur-Lot, parlaient avec l’accent des banlieues, un univers totalement inconnu d’eux. Face à ces ados désintégrés, dont les parents s’exprimaient en français avec l’accent du Lot-et-Garonne, je me dis que nous avions tout raté et que réparer nos erreurs prendrait une, deux, trois générations.

Je commence la recension de cet ouvrage par cette anecdote car Robert Chaudenson revient à plusieurs reprises, avec toute l’autorité scientifique qui est la sienne, sur l’erreur monumentale de Giscard et Chirac – que nous n’avons pas fini de payer – qui a consisté à instaurer le regroupement familial pour des centaines de milliers de Nord-Africains (pour doper la démographie et surtout pour exercer une pression sur les salaires ouvriers) sans en tirer les conclusions élémentaires au niveau de l’école : on n’a pas éduqué ces enfants correctement en français et on ne leur a pas appris la langue française comme il convenait. On a fait d’une grande partie de ces jeunes des enfants du placard. Bien que nés en France, tous ces gosses ne sont pas nés dans la langue, par la langue. Par manque d’emprise sur la langue, ils n’ont pas pu développer de vraies relations sociales. Ils n’ont pas pu nous rejoindre dans notre système cognitif, notre pensée abstraite, notre humanité. Comme on ne se développe que par la culture, grâce au langage, la société française a été donnée à ces jeunes (et ils la rejettent) mais pas enseignée. On testa les performances en mathématiques de ces enfants originaires du Maghreb, mais pas leur français. On n’adapta pas « les programmes et les stratégies scolaires, ce qui allait fortement aggraver la crise de l’école, en particulier primaire (les fondamentaux !), et ce qui conduirait la France à dégringoler progressivement dans les statistiques internationales de l’Éducation (PISA). L’enfant serait d’autant plus prêt et plus enclin à entrer en guerre contre une société qui l’avait traité ainsi et par là à écouter ceux qui contestaient cet ordre et cette société ». Et Chaudenson de citer Bernard Rougier (Qu’est-ce que le salafisme, P.U.F., 2008) : « Le salafisme se définit par une attitude de dégagement par rapport à toutes formes de verticalité, que celles-ci soient religieuses (le refus de la tradition jurisprudentielle) ou politiques (le refus du lien d’allégeance national et institutionnel) ».

Au fait, ces jeunes  connaissent-ils aujourd’hui le Coran aussi bien que notre auteur qui n’hésite pas à avancer ceci (attention les yeux !) : « La paradis musulman est, de toute évidence, gay ! La sourate 76, l’Homme (El-Insan – verset 19indique que «Et là autour d’eux circuleront des enfants à l’éternelle jeunesse ; quand tu les verras, tu penseras que ce sont des perles éparpillées ». Aux vierges promises s’ajoutent donc sans conteste des éphèbes, comme on le constate à la sourate 56, l’Evénement (El-Waqi’ah) – verset 17, qui est sans ambiguïté : « Autour d’eux, des éphèbes toujours jeunes, avec des coupes, des aiguières et un verre rempli d’une liqueur de source ».


On pouvait s’y attendre, l’auteur a, pendant ces deux dernières années, beaucoup écrit sur ce que j’évoquais précédemment : l’acculturation de centaine de milliers de jeunes, ainsi que sur les origines du terrorisme islamiste dans notre pays. Comme par hasard, l’inoxydable et prétentieux Giscard porte une très lourde part de responsabilité dans ce cancer. En donnant l’hospitalité à Khomeini, en facilitant la révolution islamique à Neauphle-le-Château, il a permis le développement sur notre sol d’un pouvoir religieux qui hait et combat la démocratie et la République. Les responsables politiques, rappelle Chaudenson, ont accordé au compte-gouttes des visas pour des chercheurs du Maghreb tandis qu’ils laissaient entrer les prêcheurs islamistes par wagons. L’idée (stupide) étant que les futurs prêchés, en s’adonnant à l’islam, ne gonfleraient pas les rangs des trafiquants de drogue et des drogués. Dès lors le dérapage fut général : « C’est ainsi que nous avons aidé à radicaliser “ l’islam de France ” avec l’idée absurde qu’il valait mieux que les jeunes “ rebeus ” aillent à la mosquée au lieu de brûler les voitures (comme si l’un empêchait l’autre) ». S’est-on demandé pourquoi quatre des cinq pays enregistrant les plus forts taux de radicalisation dans le monde étaient francophones ? S’est-on demandé pourquoi seuls des musulmans se transforment en djihadistes ? S’est-on demandé pourquoi ces fondamentalistes refusent toutes mesures intégratives aux sociétés d’accueil ? Rien n'est simple. Chaudenson sait critiquer les errements de l’administration française. Il remarque, à propos de l’interdiction du burkini, que : « on ne peut interdire l’usage d’un vêtement qui ne possède pas de nom en français, et surtout en français administratif, et dont on ne sait même pas en quoi il consiste exactement sauf à l’évoquer comme n’étant pas une tenue respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ».

En fin observateur du capitalisme – qu’il ne remet pas vraiment en cause cependant – Chaudenson revient sur l’une des plus grandes arnaques de la fin du XXe siècle : la privatisation de France Télécom et son achat de la société Orange. Avec la complicité (ce que ne dit pas l’auteur) de 99% des employés de FT qui s’étaient – pauvres bêtas – portés acquéreurs d’actions de la nouvelle société privée. En gros, FT a acheté Orange trois fois trop cher, ce que la compagnie désormais privatisée et nous-mêmes payons encore aujourd’hui. Au pilori Thierry Breton, ou encore Didier Lombard (qui avait spontanément qualifié de « mode » les suicides à FT) et leur suppression de 22 000 postes !

Chaudenson est un portraitiste redoutable (au paradis des faussaires, feu Richard Descoings patron de Sciences-Po, en sait quelque chose). Parce qu’il est un vrai chercheur qui s’informe et vérifie ses sources (sa traque de l’homme d’argent Fillon ou encore de la fortune pas vraiment imposée de Macron, sont des modèles du genre) et, parce qu’il a un certain âge, il cingle autant dans le syntagme que dans le paradigme : il connaît – et rappelle à bon escient – toutes les métamorphoses des marquis d’aujourd’hui qui tentent de nous faire oublier leurs actions d’antan glorieuses, qu’elles aient été feintes ou pas. Moi qui ai un peu fréquenté des membres de la bande de Charlie Hebdo à la grande époque, je me réjouis du portrait que Chaudenson brosse de Val, cet anarchiste qui a fini en condamnant Snowden, en déjeunant au Cap Nègre avec Nicolas et Carla et en virant le responsable de la revue de presse de France Inter Frédéric Pommier, coupable d’avoir cité Siné Hebdo. Si Chaudenson avait été solidement de gauche, il aurait pu ajouter, au débit de Val, son soutien indéfectible à l’OTAN et aux guerres impérialistes des États-Unis.

Note de lecture (171)


Chaudenson n’est pas le premier à pointer du doigt l’immense responsabilité des États-Unis dans le capharnaüm proche-oriental et dans l’épanouissement, pour quelques décennies, du terrorisme islamiste, mais il n'y va pas de main morte : «Nous tendons à oublier que les cadres de DAECH sont quasi exclusivement d’anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein et d’ex-cadres de ses services de renseignement. Cette circonstance tient largement à la politique des Américains qui ont poussé à licencier, en les humiliant et surtout en les laissant sans solde ni retraites les officiers bassistes et sunnites de l’armée de Saddam Hussein pour donner le pouvoir en Irak aux Chiites. »

Peu d’erreurs factuelles dans cette somme d'un auteur dont on regrette qu'il puisse parfois céder à la vulgarité, comme quand il évoque les « gitons de Yann Barthès » (et alors ?). Une concernant l’ineffable Nadine Morano : elle n’est pas « ritale » . Elle ne l’est qu’à moitié. Elle est la fille de Michel Pucelle (transformé en “ Pugelle” en 1974). Morano est le nom de son ancien mari.

PS : Puisque Robert Chaudenson me pose la question dans son livre, le problème avec la traduction éventuelle en français de l’anglais doggy bag est que ce sac à emporter les restes (un emporte-restes ?) peut signifier également le sac à collecter les crottes du chien. Encore que les Anglais préfèrent pick-up kit.

PPS : Je rédige cette recension au moment où j’apprends la mort accidentelle de Jacques Sauvageot, président de l’UNEF en 1968, que j’ai un peu côtoyé. Après les « événements », il refusa toute médiatisation, paya cher dans sa vie professionnelle le fait d’avoir été à la tête de la révolte, mais il demeura parfaitement fidèle à ses idéaux. L’inverse de l’histrion arriviste et anti-communiste primaire Cohn-Bendit.


Paris : Les impliqués, 2017

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