Ainsi donc, je viens de passer trois jours sur les gradins surchauffés de la piscine de Pierrelatte pour apprécier les très bonnes performances de ma fille Rébecca et de ses collègues de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. J’avais choisi un hébergement dans la petite ville voisine de Bourg-Saint-Andéol, de l’autre côté du Rhône, en Ardèche. J’ai passé deux nuits très reposantes dans l’hôtel Le Brin d’Olivier (publicité gratuite).
Entrer en voiture dans Bourg-Saint-Andéol ne m’a pas vraiment posé de problème. En sortir, la première fois, m’a pris trois quarts-d’heure et m’a occasionné une légère panique car je risquais de rater une prestation de Rébecca.
Á Bourg-Saint-Andéol, rien à voir avec les pharaons ou Hausmann. Beaucoup plus modestement, la municipalité a décidé d’aménager une route passante sur environ 100 mètres et d’instituer deux ou trois sens uniques. Ah, le sens unique ! L'apanage des vraies grandes cités. Tout comme les ralentisseurs dont les deux tiers dans cette ville ne servent à rien. Seulement, dans une bourgade de 7 000 habitants coincée entre le Rhône majestueux et une grosse colline très pittoresque, le moindre changement dans le système de la voirie est redoutable. Il peut vous falloir accomplir trois kilomètres pour franchir une distance de 200 mètres. Mais dans un gros village où certaines rues ont été conçues au moyen âge pour le passage de brouettes, où de charmantes placettes sont interdites aux voitures et où il fait 40° à l’ombre, on a vite fait de ressentir que Kafka jouait petit bras. Surtout dans la mesure où, nulle part, la municipalité n’a installé le moindre panneau provisoire du style “ Déviation Pierrelatte ”. Mon GPS connut l’affolement et faillit rendre l’âme car il n’avait pas été conçu pour suppléer les carences de la municipalité bourguesane.
Je connus heureusement un instant de grâce. Après avoir marché une bonne demi heure dans un cagnard historique à la recherche du seul restaurant ouvert (le dimanche est sacré à Bourg-Saint-Andéol), je m’affalais épuisé à la terrasse ombragée d’un petit resto tenue par des dames (en Ardèche, les hommes sont plutôt chasseurs). Á la table voisine, trois jeunes femmes et un jeune homme parlaient de musique classique. Il me fallut moins d’une minute pour comprendre qu’ils étaient de la partie et qu’ils avaient été les élèves d’Alfred Brendel chez qui ils avaient suivi une classe du maître quelques semaines auparavant. Ils avaient quitté un Brendel de 88 ans encore vaillant dans un très grand moment d’émotion.
Des élèves d’Alfred Brendel à Pétaouchnoque-sur-Rhône (non, vous ne me ferez pas écrire « au milieu de nulle part » – in the middle of nowhere) ! Par parenthèse, l’expression anglaise est une pure horreur : comment peut-on être au milieu de nulle part ? Comment peut-on être des personnes précaires dans un hors-lieu indéfinissable ? Je m’immisçai dans leur conversation en leur disant qu’une chose m’énervait autrefois chez Brendel, l’un des plus grands pianistes de la deuxième moitié du XXe siècle (ses lieder de Schubert avec Dietrich Fischer-Diskau ou son Concerto Jeunehomme sont des sommets) : quand il sortait un disque, on pouvait lire “ BRENDEL ” en Times 72 et, en dessous, Chopin, Beethoven, Mozart en Times 10. L’une des quatre jeunes artistes corrobora mes dires en se souvenant des couvertures des 33-tours de ses parents. Elles me confirmèrent – mais je n’avais pas besoin d’être rassuré – que Brendel comme maître était un homme généreux, au service de la musique et non de sa personne et un pédagogue hors pair. Ce, malgré une surdité gallopante.
Bref, j’avais bien fait d’avoir tourné dans Bourg Saint-Andéol comme un cochon d’Inde dans une boîte à chaussures et je me promis de revenir plus tard, quand les services de la voirie se seraient calmés, dans ce très charmant lieu de notre belle France.
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