Tous les excès, toutes les initiatives sont possibles. Il ne faut pas s’étonner qu'en Allemagne, comme dans des temps pas si anciens que cela, des enfants aient paradé en uniforme en portant des armes (factices) dans une mosquée turque, gérée par l’Union turque Ditib, émanation du pouvoir central d’Ankara. Selon la mosquée, il s’agissait de commémorer la victoire des Dardanelles. Tandis qu’Angela Merkel souhaite que les négociations entre l’UE et la Turquie reprennent dare-dare, les religieux purs et durs ne font donc rien pour intégrer leurs ouailles. Tout récemment, un historien allemand, spécialiste de l’histoire du Vatican, ayant affirmé que « l’islam ne fait pas partie de l’histoire de l’Allemagne » – les membres du gouvernement ne sont pas à l’unisson sur ce sujet – a été empêché par Facebook d’utiliser son compte pendant trente jours. En réaction à l'identitaire islamiste, le ministre-président bavarois (CSU) a décidé que tous les bâtiments publics devraient être ornés d'un crucifix, « symbole d'identité culturelle ». Rappelons que l'Allemagne n'est pas un pays laïc. Il est ainsi demandé aux candidats à des emplois publics de préciser leur religion (ou absence de) dans leur CV.
La Constitution des États-Unis garantit totalement la liberté d'expression (la seule limite étant un propos performatif du genre : « je pense que cet homme doit mourir, donc je le tue »). Des étudiants remettent actuellement en cause cette liberté en demandant que l'université devienne une zone neutre, un espace sécurisé (“ safe space ”) où aucun propos hostile ne pourrait être tenu à l'encontre de minorités raciales ou sexuelles. Selon Libération, « cette évolution est perçue par les professeurs jusque dans les salles de classe au quotidien. Les étudiants s’attendent de plus en plus à être prévenus quand le contenu d’un cours peut les choquer. Certains vont jusqu’à quitter la salle lors des discussions de groupe, pour ne pas entendre des opinions qui les blessent. Les universités sont embarrassées face aux pétitions des élèves, car certaines dépassent le débat sur le 1er amendement et remettent en cause le programme scolaire : faut-il ne plus lire Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de Harper Lee [œuvre globalement anti-raciste, prix Pulitzer 1961, 4 millions d'exemplaires vendus, enseignée dans toutes les écoles] parce que le mot « nigger » y revient trop souvent ? Ne plus montrer d’images lors des cours d’histoire sur le Ku Klux Klan ? »
Chez nous, la sociologue Christine Delphy estime la non-mixité indispensable aux minorités « pour que leur expérience de discrimination et d’humiliation puisse se dire, sans crainte de faire de la peine aux bons Blancs ». Elle souhaite exclure de certains débats – pour permettre aux « opprimés » de s’émanciper d’une domination raciale ou masculine qui les oppresse, et de prendre librement la parole – ce qu'elle appelle les « groupes dominants », pour elle les hétérosexuels, les hommes, les personnes de couleur blanche. Apparemment pas les banquiers et les actionnaires du CAC 40. La LICRA a nettement critiqué cette approche : « des étudiants contre la sélection à l’université Paris organisent un “ atelier en non mixité raciale ”. Combien de temps encore l’université française va-t-elle supporter le rétablissement de pratiques racistes dans ses murs ! » Cette approche raciale (raciste, on ne sait comment dire ?) fait se rejoindre les extrêmes. C'est ainsi que la chaîne de télévision AJ+français, apparemment branchée et progressiste alors qu'elle est une émanation directe du très conservateur Qatar, critique d'un point de vue racial le choix du ministère des Sports qui a nommé comme ambassadeur contre le racisme Antoine Griezmann (un choix plutôt légitime, si l'on se place à ce niveau dans la mesure où le père de Griezmann est d'origine allemande et sa mère d'origine portugaise) : « Le ministère des Sports a choisi le footballeur Antoine Griezmann comme ambassadeur pour incarner la lutte contre le racisme dans le foot. Pas Blaise Matuidi. Pas Ousmane Dembélé. Pas Paul Pogba. Antoine Griezmann. » Griezmann étant blanc, il ne saurait promouvoir la lutte contre le racisme. Même s'il est un excellent footballeur, par ailleurs très populaire. Ce raisonnement (on passe sur le fait que, pour cette chaîne, Élisabeth Badinter est raciste avant d'être féministe) rejoint la fine analyse d'extrême droite d'un le Pen pour qui, la France étant majoritairement blanche, elle devrait être représentée par une équipe nationale de footballeurs moins colorée. On notera que, contrairement à ceux qui excipent du primat de la race, le cinéma français compte de plus en plus d'acteurs et de metteurs en scène de talent d'origine maghrébine, sans discrimination positive, sans piston de la mosquée. Simplement parce qu'ils sont très bons. On compte même désormais des comédiens originaires d'Afrique du Nord jouant des rôles de chtis ou d'auvergnats.
Dans les cités, dans les quartiers (mais aussi en milieu bourgeois), être homosexuel est de moins en moins une sinécure, que ce soit en famille, dans les immeubles ou sur internet. Nous sommes en plein tabou. Dans un supermarché, une jeune femme déverse un chapelet d’injures sur un client homosexuel : « pédé, tarlouzes, sales chbeb [enculé], une honte pour la France qui mérite de mourir, en Algérie, les mecs comme vous, on les égorge. » Les associations SOS et Stop homophobie s’étant constituées partie civile, cette femme devra répondre devant la justice. Il y a une dizaine d’années, Braïm Naït-Balk sortait du placard avec son récit Un homo dans la cité : La descente aux enfers puis la libération d'un homosexuel de culture maghrébine. Dans ce livre d’un très grand courage, il décrivait son calvaire. Libération rendit compte de l'ouvrage en ces termes : « Brahim aborde l’épisode terrible de viols subis dans la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, il y a vingt ans. Des types, qui avaient, selon son expression, « flairé » son orientation sexuelle, l’ont entraîné dans une cave, à tour de rôle. Il est l’un des premiers à témoigner ouvertement de cette histoire. La honte, toujours. Il n’en a soufflé mot à personne. Il ne reste pas trace de cette histoire, pas plus que de témoins. A l’époque, il n’a pas porté plainte, de peur d’être catalogué homo. « Les filles qui subissent des tournantes, elles ne portent pas plainte non plus », se justifie Brahim. Il rêve que cette situation évolue. « Quand il a commencé les émissions à la radio, il parlait de sport et ne se disait pas homo. Mais on sentait une souffrance, on ne savait pas ce que c’était exactement », explique Sylvain, chroniqueur, qui le connaît depuis sept ans. Un ami de vingt ans : « Ça nous paraît un peu irréel qu’il sorte cela dans un livre, mais s’il l’a fait, c’est qu’il devait en avoir besoin. » Contacté par téléphone, son frère dit que s’il savait pour l’homosexualité, il n’était pas au courant pour les viols. Brahim explique qu’il ne voulait pas passer pour une victime. » Comme, en plus, Brahim n’est pas croyant et vote plutôt à droite, rien ne doit être simple pour lui. L'ironie dramatique de cette effroyable désintégration de nos rapports sociaux est que, selon le linguiste Robert Chaudenson, « Le paradis musulman est, de toute évidence, gay ! La sourate 76, l’Homme (El-Insan – verset 19 indique que « Et là autour d’eux circuleront des enfants à l’éternelle jeunesse ; quand tu les verras, tu penseras que ce sont des perles éparpillées ». Aux vierges promises s’ajoutent donc sans conteste des éphèbes, comme on le constate à la sourate 56, l’Evénement (El-Waqi’ah) – verset 17, qui est sans ambiguïté : « Autour d’eux, des éphèbes toujours jeunes, avec des coupes, des aiguières et un verre rempli d’une liqueur de source ».
Pendant ce temps, Henda Ayari, à qui son mari avait imposé le port du jihab et du niqab, n’a reçu le soutien d’aucune association féministe après une plainte déposée contre Tariq Ramadan pour violences sexuelles.
Je n’évoquerai pas, car ce serait sans fin, les multiples altercations ayant opposé des personnels hospitaliers à des maris musulmans refusant que leur femme soit examinée par des hommes. Je préfère terminer en disant qu’une certaine forme de résistance – l’application pure et simple de la loi – se fait jour. Un maire a récemment refusé d’inscrire à l’état civil un garçon sous le nom de Jihad (les musulmans de France verraient-ils d’un œil favorable qu’un petit Blanc blond aux yeux bleus soit prénommé “ Bataille de Poitiers ” ?). Certes, en soi, le nom de Jihad (effort, résistance) n’a rien de pendable. Mais dans le contexte actuel, ce choix relevait d’une provocation très malveillante. Jihad a été transformé en Jahid et tout est rentré dans l’ordre. Mais un ordre malfaisant, où le remède est pire que le mal puisque les langues sémitiques sont à base triconsonnantique. Autrement dit, sur la racine, ici J-H-D, quand on fait varier les voyelles, on obtient un autre mot du même paradigme. Ici, ce sur quoi débouche notre juge, qui aurait mieux fait de se renseigner, c'est l'impératif du verbe (donc, en gros “ fais la guerre sainte ”, ou “ fais l'effort sur toi-même ”, si l'on prend la version optimiste).
Á Vaux-en-Velin, près de Lyon, le centre d’Assistance médicale à la procréation de la clinique a fermement rappelé que « le visage des patientes doit être découvert » et que « les couples doivent serrer la main de tous les praticiens ». Ces personnels de santé se sont ainsi conformés à un arrêt de principe du Conseil d’État selon lequel « le refus d’une femme de serrer la main d’un homme lors de la cérémonie d’accueil dans la nationalité française signe son défaut d’assimilation. »
PS : pour ma part, j'ai pris conscience de ces phénomènes il y a une quinzaine d'années. Je me retrouvais pour des raisons familiales dans un chef-lieu de canton du Lot-et-Garonne, une bourgade que je connais depuis 1954 et où la piscine olympique (inaugurée par Christine Caron) dans laquelle je barbotais quand j’étais ado fut incendiée un beau jour d’avril 1999 par des esprits facétieux et désœuvrés, après avoir été fermée parce que saccagée par ces mêmes esprits. J'étais installé à la terrasse d'un café. Á deux mètres de moi, trois ados d'origine maghrébine dont deux avaient incontestablement moins de seize ans et auraient dû être en classe. J'écoutais d'une oreille distraite quand, soudain, je notai ce qu'avait d'incongru leur parler. Ces gosses nés dans ce canton, comme leurs parents et leurs grands-parents (dans ce département, l'immigration nord-africaine date d'avant la guerre d'Algérie), ces gosses, qui n'avaient jamais été plus loin qu'Agen ou Villeneuve-sur-Lot, parlaient avec l'accent des banlieues, un univers totalement inconnu d'eux. Face à ces ados désintégrés, dont les parents et grands-parents s'exprimaient en français avec l'accent du Lot-et-Garonne, je me dis que nous avions tout raté et que réparer nos erreurs prendrait plusieurs générations.
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