J’aborde ici un fait divers très troublant concernant des faits de harcèlement d’un professeur des universités à l’encontre de sa doctorante. Je n’ai aucune connaissance directe de ce qui s’est passé mais je sais ce qui a été reproché par l’institution à ce professeur et quelles sanctions ont été prises à son égard. Au sein du corps professoral de l’université Lyon 2, ces sanctions ne font pas l’unanimité et je souhaite, en reprenant un article de Libération du 9 juillet, donner le point de vue des enseignants qui contestent les faits reprochés.
Le professeur directeur de thèse a été convoqué devant le conseil de discipline de l’université suite à une conversation téléphonique enregistrée par la doctorante avant une réunion de suivi de thèse où il disait ceci : « Et faites comme d’habitude, il faut que vous soyez bien élégante. » Silence gêné. « Non mais c’est important, parce que ça fait partie des règles du jeu. » Libération explique que « L’extrait de cet appel, passé à l’initiative de l’enseignant, est l’une des pièces du dossier qui a abouti à la sanction prononcée par l’établissement le 9 avril 2018 à l’encontre du directeur de thèse, interdit d’exercer et privé de salaire pendant un an ».
En des termes que je trouve quelque peu étranges, la section disciplinaire de l’université a condamné un « comportement susceptible de constituer un harcèlement sexuel à l’encontre de [la] doctorante au moyen de propos et de gestes déplacés durant le mois de mars 2017 ». Est-ce qu’un comportement « susceptible de constituer un harcèlement sexuel » est, dans les faits, du harcèlement sexuel ?
Libération ajoute ceci : « Lors d’un autre appel, l’enseignant lui aurait dit avoir « bien aimé comment [elle] était en jupe la dernière fois ». Au rendez-vous suivant, il lui aurait caressé l’épaule et l’aurait invitée à s’asseoir à ses côtés « dans un espace contraint », pour « coll[er] sa cuisse à la sienne ». Enfin, il lui aurait conseillé la lecture d’un livre qu’il venait de terminer, Qu’elle aille au diable, Meryl Streep ! L’éditeur de la traduction française de cet ouvrage de Rachid El-Daïf, dont l’histoire se déroule au Liban, le présente ainsi : « Jamais sans doute un romancier arabe n’avait traité les questions du couple et de la sexualité d’une façon aussi directe et décomplexée, pleine d’humour ».
Les collègues qui soutiennent le directeur de thèse mettent en avant deux choses que je n’ai pas été à même de vérifier. Dans son bureau, le professeur est assis dans un fauteuil muni de bras, ce qui rend difficile le contact de cuisse à cuisse. Ils ajoutent que l’ouvrage Qu’elle aille au diable, Meryl Streep ! était au programme de l’agrégation d’Arabe. Ce concours n'était pas présenté par la plaignante mais la lecture du livre lui aurait été recommandée par le directeur de thèse « pour sa culture personnelle ». La thèse de la doctorante porte sur la traduction de discours politiques en Syrie, loin de la vie de couple, thème du roman publié par Actes Sud.
Le quotidien nous informe que « L’enseignant a fait appel de cette décision devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), chargé des arbitrages disciplinaires en seconde instance, faisant valoir son droit à demander un réexamen sur le fond – ce qui peut prendre un ou deux ans – et à bénéficier d’un sursis à exécution – la suspension de la peine en attendant une nouvelle décision ». Je ne sais ce qu’il en est de cet appel.
En parallèle aux accusations de harcèlement, une polémique concerne le travail de la doctorante. En Lettres, une thèse est censée être préparée en trois ou quatre ans. Les soutiens du professeurs me disent que la doctorante n’a rédigé que quelques dizaines de pages durant ce laps de temps. Selon le conseil de discipline de Lyon 2, le directeur de thèse « réfute catégoriquement les accusations portées à son endroit en affirmant que sa doctorante a agi ainsi dans le seul but de lui nuire au motif qu’il avait décidé de resserrer le suivi de l’avancement de ses travaux de recherche au moyen d’un "pacte". Il ajoute que cette étudiante se sentait certainement acculée par ce "pacte" puisqu’elle n’avait pas avancé dans sa thèse depuis 2012, tout en ayant besoin parallèlement de se réinscrire chaque année en doctorat pour conserver son titre de séjour […] ».En d’autres termes, l’étudiante ayant fait preuve d’inefficacité, le directeur l’aurait incitée à accélérer le pas.
L’avocate de l’étudiante conteste cette interprétation : « Cette jeune fille de nationalité étrangère n’attendait pas un titre de séjour de sa thèse, elle en avait déjà un au motif d’autres études menées en parallèle. Elle est courageuse, érudite, intelligente, elle a envie d’avancer. Son seul frein, c’est justement ce directeur de thèse. Elle s’est retrouvée dans une situation d’emprise, face à un homme qui a eu une attitude déplacée. Or elle vient d’une culture très respectueuse, elle ne veut pas faire de vague. Elle a encaissé, en se demandant si elle devait en parler ». Elle aurait donc constitué, selon l’avocate, « une proie potentielle évidente ».
Yannick Chevalier, vice-président « à l’égalité » de l’université, à déclaré à Libération que « Pendant des années, la tolérance sur ces questions de harcèlement a été très élevée à l’université ». Tiens donc ! Dans cette institution qui jouit depuis longtemps d’un prestige mérité, ont donc eu lieu des actes pendables, intolérables mais tolérés et enfouis sous l’immense tapis de l’esprit de corps (j’ai personnellement enseigné pendant vingt ans dans une même institution universitaire ; je n’y ai connu ni harcèlement massif ni « tolérance élevée »). C’est la première fois, écrit Libération, que « depuis la création de l’université en 1973, la section disciplinaire statue sur le sujet ». Toujours selon Yannick Chevalier, « cette culture de la permissivité est en train de reculer car des femmes accèdent aux plus hauts niveaux hiérarchiques, donc on sort de l’entre-soi masculin. Et la société est beaucoup plus vigilante suite au mouvement MeToo ». Si l’on comprend bien, il aura fallu que les responsables de l’université se branchent sur Twitter et Facebook pour faire preuve de « vigilance ». Sauf que l’affaire qui les concerne a éclaté avant la mise en cause de Harvey Weinstein.
Selon Libération, la décision de l’établissement s’est accompagnée d’un signalement au procureur. Cela signifie-t-il que ni l’université ni la plaignante n’ont porté plainte, laissant à l’appréciation du parquet le soin de poursuivre ?
Pour être complet, Libération écrit que « la doctorante a dénoncé d’autres manquements de son encadrant, qui l’aurait incitée à falsifier une convention de stage et à mentir lors d’un comité de suivi de thèse ». Si ces faits sont avérés, ils sont d’une autre nature mais largement aussi graves que la possibilité de harcèlement.
Le professeur incriminé a été suspendu un an. Á quelques mois de la retraite, on lui a coupé son salaire et on lui a interdit l’accès des lieux d’enseignement et de recherche. Avant que l’affaire ait été jugée sur le fond, il s’agit, selon ses défenseurs, de mesures conservatoires particulièrement sévères. De deux choses l’une, ou bien ce professeur est coupable et il mérite d’être sanctionné. Ou bien la doctorante a affabulé, et la vie de ce professeur, tout comme celle de ses proches, ont été brisées. Á jamais. Pour complaire à l’air du temps.
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