Daniel Royo a créé un groupe Facebook sur la période 1940-1960. L’idée – très bonne – est de déposer des souvenirs, personnels ou pas, sur ces vingt années. Forcément, les principaux contributeurs sont des gens de ma génération, qui n’ont pas connu la guerre, sauf à la marge, et qui ont vécu le redressement économique, la croissance, d’abord difficile dans les années cinquante, puis soutenue dans les années soixante.
La couleur dominante des commentaires est : « c’était mieux avant ». Bien sûr nous n’avions pas le chauffage central, les toilettes étaient au fond de la cour ou sur le palier, il n’y avait que trois fromages dans les épiceries du nord de la France où je résidais (Bombel, Camembert gruyère … et petits-suisses), les instits nous tapaient sur les doigts avec une règle, maman ne travaillait pas car elle élevait quatre enfants, mais nous étions plus heureux, moins tendus, sans la crainte du chômage. La vie était supportable car nous savions nous contenter de peu et parce que l'avenir de nos enfants serait meilleur que le nôtre.
Cette usine à trier les souvenirs s’appelle la nostalgie. Cette reconstruction du passé nous fait par exemple oublier que l’alcool faisait des ravages, qu’un mari qui battait sa femme (ou ses enfants) n’était pas un monstre et qu'il avait ses raisons, que dans les écoles il y avait des poux, du rachitisme, de la gale, de la tuberculose, des hernies inguinales, que plusieurs centaines de milliers de femmes avortaient clandestinement chaque année. Et je ne parle pas des sept morts dans le village de mes grands-parents (où il n'y avait pas l'eau courante) lors de l'épidémie de poliomyélite en 1955.
La nostalgie est devenue une démarche compensatrice au milieu des graves difficultés qui disloquent notre société. Comme si, il y a soixante ans, il n’y avait pas de classes, et de luttes des classes. Mes contemporains de Facebook oublient les guerres d’Indochine et d’Algérie et ils occultent les névroses familiales, les secrets de famille, les héritages sanglants.
Étymologiquement, la nostalgie est une souffrance : algos est le mot grec pour douleur et nostos signifie le retour. La nostalgie est donc le regret d’un monde perdu, la mélancolie face au désir impossible d’un retour vers un passé qui agit comme un charme, une jouissance aux portes d’un tourment, d’un deuil. Depuis le XVIIeme siècle, les Allemands utilisent le mot Heimweh, quand les mercenaires suisses de l’armée de Louis XIV souffraient du mal du pays. Des Allemands d’aujourd’hui souffrent d’Ostalgie car ils regrettent, non pas l’Allemagne de l’Est dans sa globalité, mais les aspects positifs de son organisation socio-politique à jamais perdus au nom de la “ liberté ” et de l'intégration dans l'Europe capitaliste.
Aucune “ belle époque ” ne fut belle pour tout le monde.
Je me souviens parfaitement avoir dévoré le très beau livre de Simone Signoret qui me sert de titre. En se retournant vers son passé intense, flamboyant, mais parfois dramatique, elle se préparait à sa fin, en tant qu’actrice et en tant que femme, alors qu’elle n’avait que 54 ans à la parution de l’ouvrage. Nous sommes plus âgés que Simone Signoret à l’époque. Écoutons-la nous empêcher de sombrer dans le passéisme, dans le sentiment délicieux d’un manque et celui, aigre, de nous retrouver dans un présent qu’on ne peut quitter. C’est un peu ce que, à leur manière, les colons portugais appelaient saudade, tendus qu’ils étaient vers la conquête du monde tout en regrettant leur pays d’origine. De même, le blues est né de l’impossibilité d’un retour.
Jusqu'à l'âge de sept ans, tel fut mon bain hebdomadaire (en semaine, une bassine dans l'évier). Rapide, l'hiver. Ma zigounette à la vue de tous. En 1955, mes parents purent se payer, dans une petite maison, une salle de bain minuscule avec une baignoire à sabot. Quel progrès ! J'apprécie les douches à l'italienne...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire