Juriste, fondateur du fanzine Darkness, Christophe Triollet s’intéresse depuis plusieurs années aux problèmes de censure dans le cinéma, britannique en particulier. Après avoir publié Gore et violence, Sexe et déviances et Politique et religion, il a a récemment coordonné un ouvrage sur les “ video nasties ”.
“ Nasty ” est un adjectif (ici substantivé) au sémantisme très large. Il peut signifier méchant, sale, mauvais, désagréable, déplaisant, horrible, obscène, indécent. Dans le cas de ces vidéos, ce sont plutôt les deux dernières acceptions qui conviennent.
Triollet rappelle que le magnétoscope fut inventé en 1956 et que, mort de sa belle mort une soixantaine d’années plus tard, il a bouleversé le monde du cinéma. Il donna lieu à une guerre commerciale inouïe – où les Japonais étaient en pointe – entre divers formats : Betamax, JVC, V2000, et il permit la vison, dans des vidéoclubs ou à la maison, de quantités de films interdits. Des films pornos, violents, scabreux, pourchassés par la censure. Rien qu’au Royaume-Uni, 72 films furent jugés indésirables.
La censure au cinéma outre-Manche est instituée dès 1912. Elle est gérée par une institution privée, le British Board of Film Classification qui vit des recettes provenant des frais de classification auxquels tous les producteurs de films doivent se soumettre. Une loi de 1984 impose la classification des films exploités en vidéo, au cinéma, à la télévision et dans les jeux vidéo.
L’usage massif des magnétoscope dans les années 70 permit aux spectateurs de voir des films que les salles ne projetaient pas, ou qu’elles projetaient avec des restrictions. L’expression “ Video Nasties ” apparut dans le Sunday Times en 1981 dans un article voulant démontrer l’influence pernicieuse de ces films sur la criminalité. Il suffit qu’en telle ou telle occasion un criminel ait avoué avoir été inspiré par un film vidéo pour que la censure se déchaîne. En 1983, les autorités saisissent 687 copies du film Possession d’Andrzej Zulawski pour lequel Isabelle Adjani avait reçu le Prix d’interprétation féminine à Cannes deux ans auparavant. Une version raccourcie sortit en 1999. De même, Les Chiens de paille, de Sam Peckinpah, réalisé en 1971, ne put sortir en vidéo qu’en 1999, amputé de trois minutes. Massacre à la tronçonneuse fut refusé à deux reprises en vidéos en 1975, puis interdit aux mineurs en 1999. Quant au chef-d’œuvre Orange mécanique (1971), il fut classé X puis interdit aux mineurs en 1999 avant qu’une version abrégée soit proposée par Warner en 1999.
En 1993, s’ouvrit le procès des deux enfants de dix ans ayant assassiné dans des conditions atroces le petit James Bulger, lui même âgé de deux ans. Il est possible que les assassins aient été inspirés par le film étasunien Chucky 3. Suite à cette horrible affaire, le parlement britannique vota une nouvelle loi intégrant de nouvelles normes de classification.
En proposant une analyse de 72 “ video nasties ” de diverses provenances, ce livre nous en dit peut-être plus sur nos sociétés que des ouvrages analysant des films plus classiques.
Editions Leitmotiv, La Madeleine 2018.
Editions Leitmotiv, La Madeleine 2018.
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