Cette chanson date de 1959 et fut son premier très grand succès. On a longtemps cru qu’il l’avait écrite alors que la chanteuse et chansonnière Susanne Grabriello, peut-être le grand amour de sa vie, avait décidé de le quitter. Or c’est vraisemblablement pour sa femme, Miche, lassée de ce ménage à trois, qu'il écrivit ce texte unique qu’Édith Piaf détesta car, selon elle, un homme ne pouvait s’abaisser de la sorte.
Je dirai quelques mots sur ce qui a pu influencer Brel dans l’écriture de ce chef-d’œuvre.
Pour ce qui est de la musique, il est absolument clair que, pour chanter « Moi je t’offrirai des perles de pluie », il avait dans l’oreille un court fragment de la rhapsodie hongroise n° 6 de Liszt (celui-ci fortement influencé par un thème de musique populaire tzigane), clé de fa, quatre bémols à la clé (fa-fa-sol-la-si bémol).
Desnos est mort dans le camp de concentration de Terezin en 1945. Pour annoncer ou accompagner cette mort, des admirateurs tchèques traduisirent dans leur langue un poème de 1926, “ J’ai tant rêvé de toi ”, écrit en l’honneur d’Yvonne Georges. C’est la traduction (et légère adaptation) en français de cette traduction qui parvint au grand public après la mort de Desnos :
J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres,
D’être cent fois plus ombre que l’ombre,
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres,
D’être cent fois plus ombre que l’ombre,
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.
Dans la mythologie desnosienne, ce bijou est devenu « le dernier poème ».
Autre victime du fascisme, Federico Garcia Lorca fut fusillé sommairement le 19 août 1936 et enterré dans une fosse commune. Peu avant sa mort, Lorca écrivit un magnifique poème d’amour, le “ Sonnet de la douce plaine ” (“ Soneto de la dulce queja ”), récité ici par Maria Casarès en français. Brel fut influencé par ce passage :
Si tú eres el tesoro oculto mío,
si eres mi cruz y mi dolor mojado,
si soy el perro de tu señorío,
Si tu es mon trésor caché,
Si tu es ma croix et ma douleur humide,
Si je suis le chien de ton manoir,
Le poème se poursuivait et s’achevait ainsi :
Je m’attriste de n’être en cette rive
qu’un tronc sans branche et mon plus grand tourment
est de n’avoir la fleur ou la pulpe ou l’argile
qui nourrirait le ver de ma souffrance.
Si tu es le trésor que je recèle,
ma douce croix et ma douleur noyée,
et si je suis le chien de ton altesse,
ah, garde-moi le bien que j’ai gagné
et prends pour embellir ta rivière
ces feuilles d’un automne désolé
Federico tomba sous les balles franquistes pour des raisons politiques, mais surtout parce qu'il était homosexuel.
Alors, plagiaire, Jacques Brel ? Bien sûr que non. C’est justement grâce à son génie qu’il avait su saisir ces moments exceptionnels de la création humain, se les approprier et les épurer en retrouvant leur quintessence.
Ci-dessous, la dernière photo de Desnos vivant :
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