mercredi 6 mai 2020

La férocité des possédants ne date pas d'hier


Un exemple parmi d'autres : la famille  Schneider (dans la haute, on prononce chnèdre) à laquelle l'exquise Anne-Aymone Sauvage de Brantes, épouse Giscard d'Estaing, est apparentée.

Dans un article du Figaro en 1897, Jean Huret interroge Henri Schneider, fils du fondateur de l'entreprise, qui la dirigea entre 1875 et 1898, ainsi qu'un ouvrier. Le moins que l'on puisse dire c'est que le patron s'exprime sans tabou et que l'ouvrier (on dirait “ collaborateurs ” aujourd'hui) a bien intériorisé sa soumission :

« Jules Huret. – Est-il indispensable que ce directeur en absorbe à lui seul tous les bénéfices ? […]

Henri Schneider. – Le capital […] qui alimente tous les jours les usines […] nourrit l'ouvrier lui-même ! […]. La production dépend de la mode […], demain, ce mouvement peut s'arrêter […]. Sans emploi du jour au lendemain ; ils viendraient faire la queue à la porte des usines, offrir leurs bras au rabais ; ça ferait baisser les salaires. […]

J. H. – L'intervention de l'État ? […]

H. S. : Très mauvaise ! Je n'admets pas du tout un préfet dans les grèves ; c'est comme la réglementation du travail des femmes, des enfants ; on met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre, on décourage les patrons de les employer.

J. H., à l'ouvrier : Si vous tombiez malade pourtant ?

L'ouvrier : Oh, faut espérer que non […] ! Qu'est-ce que je ferais avec les quarante sous de la compagnie ? […] [À propos de M. Schneider] On vote pour lui […] pourtant il n'en manque pas des ouvriers qui voudraient bien ne pas faire comme les autres. Mais ils n'osent pas ! […] Si les mioches pouvaient manger tout leur saoul ! Si on n'était pas si fatigué ! […] La retraite, c'est joli, mais il n'y en a pas tant, allez, qui arrivent à soixante ans avec des métiers pareils ! »

Jules Huret, Enquête sur la question sociale en Europe, 1897.



L'ambiance est donc celle du paternalisme le plus implacable, quand l'ouvrier est un enfant et non pas le rouage essentiel de la production, ou encore un citoyen. Heureusement, les consciences s'éveillent et s'organisent. On voit par exemple Jean-Baptiste Dumay, ouvrier syndicaliste du Creusot et maire de la ville en 1871, critiquer radicalement la politique des usines Schneider :

« Le Creusot étant un modèle […] de bagnes industriels, où les ouvriers sont enrégimentés, logés, numérotés et surtout surveillés, non seulement dans leurs fonctions de producteurs, mais encore dans leur vie privée, intime, nous croirions manquer à notre devoir si […] nous ne venions pas dévoiler au public l'organisation tyrannique de cette grande Compagnie […]. Un ouvrier en difficultés avec les patrons a autant à craindre pour les siens que pour lui, vu qu'il n'est pas rare que toute une famille soit renvoyée des ateliers, parce qu'un fils ou un frère a voulu secouer le joug. […] Si les ouvriers du Creusot ne peuvent manifester leurs opinions politiques sans crainte de perdre leur travail, il en est de même au point de vue religieux […] aussi a-t-on vu des jeunes gens renvoyés de l'usine […] pour avoir chanté des chansons anticléricales. […] La caisse de secours aux malades et blessés est encore une de ces œuvres philanthropiques dont on fait honneur aux patrons, […] et qui, en définitive, sont payées par les ouvriers. […] L'institution [des] retraites […], correspond précisément à l'énorme baisse des salaires des années suivantes. »

Jean-Baptiste Dumay, « Le Creusot : un fief capitaliste », La Revue sociale, 1891.

Les gens de la vraie gauche ont raison de le seriner : rien n'est jamais donné, rien n'est jamais acquis. Tout se conquiert.

PS : sur le troisième document, le patron s'est fait représenter en saint Éloi, le ministre des finances du bon roi Dagobert, orfèvre (exceptionnel) et monnayeur de son état. Saint Éloi est considéré comme le saint patron des ouvriers qui se servent d'un marteau.

La férocité des possédants ne date pas d'hier
La férocité des possédants ne date pas d'hier
La férocité des possédants ne date pas d'hier

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire