mardi 5 novembre 2013

Le Thatchérisme : une réponse au déclin du Royaume-Uni ? (12)

La Grande-Bretagne thatchérienne fut la plus duale depuis Disraeli qui avait fondé le concept de « Deux nations » dans son roman à thèse de 1845. Aggravées, les inégalités n’étaient pas un phénomène nouveau. Déjà en 1966, 7% de la population possédaient 84% des biens privés. L’atténuation de la pression fiscale chère à Madame Thatcher ne bénéficia guère aux couches les plus populaires. Si, pendant deux ans, 1 300 000 foyers furent exemptés d’impôts, ce qui leur rapporta 4 livres par semaine, ce cadeau fut annihilé par l’augmentation massive de la TVA, une inflation de 19% en 1979 et le relèvement du taux des hypothèques. Mais en 1986, la Grande-Bretagne aura l’impôt sur les sociétés le plus bas d’Europe (35% contre 50% en France) tandis que le taux maximum sur le revenu des personnes physiques aura été ramené de 65 à 50%.




Lorsque les inégalités s’accroissent, il est difficile de préserver la paix sociale. Pendant l’été 1981, alors que le monde entier n’avait d’yeux que pour le mariage du prince Charles et de Lay Diana, de très violentes émeutes éclatèrent dans les banlieues populaire. Ces émeutes ne venaient pas de nulle part. Le harcèlement, la brutalité policière faisaient désormais partie du quotidien des banlieues. De nombreuses aides sociales avaient été supprimées. À Londres, des assistants sociaux se virent signifier qu’ils ne seraient désormais plus payés. Le 2 mars 1981, une Journée d’action des populations noires rassembla 20 000 personnes. L’été 1981 fut marqué par de véritables émeutes, souvent autour d’événements musicaux. À Southall, un concert rassemblant divers groupes skinhead se termina pare de graves affrontements avec des Asiatiques de cette banlieue. On assista également à des scènes de pillage, de destruction, spontanées mais violentes où se mêlaient, dans une même détestation de Margaret Thatcher, des jeunes d’origines étrangères et des Blancs.


Selon Bernard Cassen, alors universitaire spécialiste de civilisation britannique, cette profonde exaspération était provoquée par cinq facteurs différents (Le Monde Diplomatique, août 1981). Le manque de mobilité dans la société britannique frappait particulièrement la classe ouvrière qui s’auto-reproduisait, et dont la dernière génération subissait de plein fouet les conséquences de la désindustrialisation. Par ailleurs, depuis les années cinquante, il s’était créé parmi les générations successives de jeunes Britanniques différentes sous-cultures : teddy-boys, rockers, skinheads, punks (voir mon livre de 1971 L’autre Angleterre). Ces sous-cultures s’exprimaient systématiquement en marge des canaux et des canons traditionnels. Un autre facteur était à rechercher dans les vingt années d’immigration conçue sur le mode défensif. Sans oublier le laisser-aller urbaniste (critiqué par le prince Charles en personne !) qui, dans les grandes villes, conduisit à l’opposition entre les ghettos des centres et la relative aisance des banlieues. Enfin, Cassen estimait que, depuis les années soixante, aucun gouvernement ne s’était révélé capable de définir un projet de société susceptible d’accueillir les nouvelles composantes de la nation britannique. Si « mal anglais » il y a, il réside avant tout, selon Cassen dans le vieillissement de l’appareil productif qui s’est accompagné d’une “ pétrification ” de la classe ouvrière. 75% des ouvriers de la génération précédente ont vu leurs enfants devenir ouvriers contre 50% aux Etats-Unis et 40% en France. Le prolétariat britannique est le plus “ héréditaire ” du monde occidental. L’ouvrier des années 80 avait toutes les chance de se retrouver ouvrier ou chômeur et la fille d’ouvrier d’épouser un ouvrier ou un chômeur. Les perspectives de promotions offertes par un système scolaire très ségrégatif étaient très limitées pour les enfants des travailleurs manuels.

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