mardi 12 novembre 2013

Le Thatchérisme : une réponse au déclin du Royaume-Uni ? (16)

Je terminerai cette incomplète histoire des débuts du Thatchérisme par un mot sur la démographie. La Grande-Bretagne est un vieux pays, mais aussi un pays de vieux. En 1980, 20% de la population avait plus de 60 ans (contre 15% en 1950). Le taux de fécondité était de 1,9 enfants par femme, alors qu’il en faut 2,1 pour que la population ne régresse pas. Les enfants du « baby-boom » ont fait peu d’enfants, qui, eux même, en ont fait assez peu.

Dans les années cinquante, les décideurs se préoccupèrent d’un partage plus juste du revenu national et d’une bonne protection des individus. Dans les années soixante, les problèmes de technologie, de modernisme, de productivité furent au premier plan. Les années soixante-dix virent la croissance ralentir. Durant les années quatre-vingts, le tissu social craqua de toutes parts. 7 000 000 d’emplois disparurent en trois ans. Le chômage coûta 16 milliards de livres par an bien que l’indemnisation fût l’une des plus faibles d’Europe. En 1985, 4 000 000 de familles anglaises vivaient de l’assistance publique.


Le discours thatchérien contre les oisifs et les irresponsables, les appels aux sentiments populistes, visa essentiellement à faire accepter comme naturel les privilèges des nantis. Une des contradictions économiques de Thatcher fut d’avoir prôné l’initiative dans les industries manufacturières tout en privilégiant la rente du capital. Elle ouvrit le pays comme jamais à la pénétration des industries et des capitaux étrangers sans investir de manière productive.


Le chômage s’universalisa. Alors que dans la grave crise des années trente il avait concerné principalement des hommes déjà entrés dans la vie active, la politique thatchérienne engendra un chômage de masse chez les jeunes des deux sexes, créant une classe de déshérités fascinés par le consumérisme. Une économie souterraine considérable se développa au sein de jeunes adultes qui s'approprièrent à leur manière l’esprit et la pratique entrepreneurials.

Le poison thatchérien s’est répandu dans toute la classe politique. Comme Thatcher fit très peu de concessions, elle obligea les travaillistes et les libéraux à se rapprocher de son discours et de ses solutions. Tous finirent par accepter la fin des solidarités sociales, la fragmentation du marché de l’emploi. Bien des travailleurs la rejoignirent car elle avait baissé leurs impôts (même si elle tomba à cause d’un impôt, la poll taxcette capitation provenant de l’Ancien Testament) qui frappait les foyers sans distinction de revenus), parce qu’elle leur avait donné l’illusion qu’avec elle ils pourraient travailler plus pour gagner plus. Comme l’écrivait François Poirier, « elle a fait passer le pays des valeurs conservatrices d’un système aristocratique, où l’inégalité et le hiérarchie se mâtinait de bonne volonté philanthropique, à un système méritocratique très agressif, dont les résonances populistes constituent un appel au combat de chaque individu. »

Plus que tout autre responsable politique européen de premier plan, elle a davantage impulsé ou précédé les changements socio-économiques qu’elle ne les a freinés. Dans l’intérêt des puissants. Systématiquement.



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