mercredi 13 novembre 2013

Quelle langue parle-t-on à Lyon ?

Lyon : troisième ville de France, deuxième agglomération, capitale des Gaules. Dans les publications officielles de cette belle cité, lorsqu’on utilise la langue française, c’est à contre cœur. La langue du fric, le sabir anglo-étasunien est tellement plus branché, plus in.


J’ai sous les yeux Lyon citoyen (octobre 2013), organe officiel de la ville de Lyon. En page 6, dans le courrier des lecteurs, une Lyonnaise s’insurge (poliment, nous sommes à Lyon) contre le massacre officiel de la langue française : « OnlyLyon est un slogan génial. Mais est-ce une raison pour en faire un usage abusif ? OnlyMoov, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que LyonTrafic n’était pas plus significatif ? » On parle ici de circulation routière (trafic est un anglicisme), et Lyon utilise, avec Moov, un mot qui n’existe pas en anglais mais qui fait anglais. Naturellement, la rédaction de la revue justifie cette barbarie au nom de l’accroissement des connexions informatiques (le buzz ?). Page suivante, le maire évoque les « industries créatives » (creative industries) alors qu’il veut parler d’industries innovantes ou innovatrices. Le même maire nous dit que Lyon a été « classé (sic) 8e ville la plus innovante du monde ». Autre anglicisme, « sportif » cette fois (the third best performer in the world »). La précision « plus » est inutile, sauf si Lyon était la huitième pire en matière d’innovation.



Page suivante, pas d’anglicisme cette fois, mais l’horripilant usage du verbe « porter » : des opérations lourdes sont « portées » par le Grand Lyon. Porter des opérations ! Comme disait Hugo, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Je dirai dans cette optique que les pratiques militantes ont commencé à avoir du mou lorsque – il y a dix, quinze ans, environ – les responsables politiques de gauche ont mis le verbe “ porter ” à toutes les sauces. D’abord les socialistes, puis les communistes, la CGT, même l’extrême gauche. Ainsi, on « porte une revendication », on « porte un programme », ce qui ne veut rien dire, mais ce qui fait très « partenaire social ». Comme si on portait des fleurs ou des escarpins. On a donc cessé de « défendre » une revendication (ou de la « soutenir »), on a cessé de vouloir « imposer » un programme. Quand on fait passer des mots à la trappe, ce sont les idées que ces mots incarnent (et non pas « portent ») qui disparaissent.

Lyon a lancé un programme de voitures électriques (confié à Bolloré, le nouveau milliardaire ami des Solfériniens). Ce programme s’intitule « BlueLy » (une création langagière très subtile, mais en anglais) et on peut voir désormais dans la ville 130 Bluecar (sans marque du pluriel, même s’il y en a 130). Ailleurs, un festival artistique, qui explore toutes les formes d’improvisation, s’appelle le Festival Spontaneous. Il accueille cette année des Québecois, sûrement très sensible à cet abâtardissement de la langue française.

Quelle langue parle-t-on à Lyon ?

Puis, on passe à des développements où l’on s’excuse d’expliquer aux ploucs lyonnais ce qu’on a intitulé en anglais : « À la Confluence, c’est dans le cadre du démonstrateur “ Lyon smart community ” (ville intelligente) qu’est désormais ouvert aux riverains et entreprises Sunmoov » (après OnlyMoov, Sunmoov). Il y a aussi le « co-working », dont on a l’infini bonté de nous expliquer qu’il s’agit de travail partagé. Le co-working fonctionne en particulier dans les « data centers » (orthographe étasunienne), qu’on traduit – fort bien – par « centre de traitements de données ». Quand des Français s’adressent à des Français, il faut bien traduire, non ?

Enfin, on en arrive à des formulations incompréhensibles : « Lyon attendue au Design Tour ». Titre incompréhensible au néophyte. La municipalité a une excuse : ce « Tour » vient de Bordeaux. J’aime bien aussi ceci qui me fait penser à des araignées en folie : « Les acteurs locaux de la toile sont réunis pour un “ BLEND WEB MIX ” afin de partager leur expérience. » Les édiles prennent soin de préciser que ce mélange « n’exclut pas la concurrence ». On respire : l’idéologie libérale n’a pas déserté la région Rhône-Alpes. Ajoutons qu’en matière de Web Lyon connaît un « Webby-boom ». Ce boom engendre (et non « génère ») le charabia : « Au premier rang des “ boosters ”, le pôle de compétition Imaginove, le cluster Edit (filière logiciel), Rézopôle » etc. Toujours dans l’incompréhensible pour le plouc de base, on apprend que les Nuits sonores ont suscité la « Web explosion ». « Deux stars du mix ont travaillé dans un “ boiler room ” [une bloiler room n’est rien d’autre qu’une chaufferie, une salle des chaudières]. L’animateur Vincent Carry, qui a pris pour surnom Arty Farty (j’imagine qu’il sait que cela signifie « le péteux apprêté ») a généré (sic) 42 000 visites sur le site dédié (marre de cette utilisation du verbe dédier, qui n’est même pas anglaise !). Même Patrick Penot, grande figure de la culture lyonnaise, nous dit que le « one shot n’est pas notre fonds ». Cette expression est surtout utilisée, en anglais contemporain, pour exprimer qu’on n’a pas pu tirer plus d’un coup avec une partenaire.

Bien triste, tout cela
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