vendredi 7 mars 2014

Des femmes tondues aux Pussy Riots (en passant par Youri Brejnev)



Une fois encore – cela devient une habitude – la télévision nous a montré le spectacle ignoble de deux ou trois Pussy Riots, naturellement sans armes et qui manifestaient à peine, sauvagement malmenées par de jeunes hommes largement supérieurs en nombre, munis de matraques et ce qui m’a semblé être des coupoirs.

En ces temps où, dans les pays qui s’efforcent de ne pas perdre le contact avec la civilisation, l’on célèbre la dignité des femmes, l’égalité, la parité, cette barbarie (passons sur la lâcheté) nous rappelle que l’homme à l’état brut et à l’état de brute s’est toujours conduit comme un prédateur et un conquérant médiocre vis-à-vis de la femme.

En France, en 1945, nous eûmes droit au spectacle de femmes tondues – quand elles n’étaient pas violées comme l’actrice Mireille Balin – parce qu’elles avaient collaboré (horizontalement ou verticalement) avec l’occupant. Pendant ce temps, de vrais trafiquants, de vrais acteurs politiques et économiques de la Collaboration passaient à travers les gouttes. De la civilisation au retour du refoulé barbare, il y a l’épaisseur d’une feuille de cigarette.

Je ne suis pas un spécialiste de l’URSS ou de la Russie d’aujourd’hui, je ne parle pas la langue et je ne suis jamais allé dans ce pays. Mais quand je vois des jeunes femmes tabassées pour délit d’opinion par d’épais nervis, ou encore de jeunes crétins qui se jettent sur le devant de voitures en marche pour intenter des procès aux conducteurs et percevoir des dommages et intérêts, je me dis que le pays de Tchekhov et de Tolstoï est en pleine déshérence et marcescence. Par le biais d’un souvenir personnel, je voudrais raconter brièvement quand et comment j’ai ressenti ce glissement fatal vers l’inhumanité.


Peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, un de mes enfants se rend dans une famille soviétique pour un bref séjour, dans le cadre d’un échange entre Poitiers et Iaroslav. Très gentiment, ses hôtes lui laissent la grande chambre pour elle toute seule pendant qu’ils s’entassent (le père, la mère, les enfants et deux grands-parents) dans les deux petites chambres restantes. Les parents sont tout deux universitaires : le père est doyen de sa fac et la mère est professeur. Une enseignante qui exerce quand cela lui est possible car elle consacre beaucoup de temps à faire la queue dans les magasins. Si l’on rapporte le salaire de ces universitaires au pouvoir d’achat d’un Français, ils gagnent environ 300 francs par mois. La correspondante de ma fille parle remarquablement le français, alors qu’elle n’est encore jamais venue en France, elle danse fort bien, est très bonne en gymnastique et joue du Chopin sans aucune peine (elle envisage les études d’exécution transcendantes de Liszt pour dans un an ou deux).

Lorsque ma fille revient en France avec sa camarade russe, celle-ci est très étonnée par la taille de notre maison et nous demande combien de familles y résident. Elle est également très étonnée par les prix des parfums de l’enseigne Séphora, pourtant pas les plus chers de France. Nous lui en achetons un pour sa mère (un mois de salaire de cette brave dame). La jeune fille nous demande également de lui acheter de la laine. Comme je lui exprime mon étonnement dans la mesure où l’URSS compte le plus grand nombre de bêtes lainières au monde, elle m’explique cette tradition bien ancrée chez les douaniers de son pays qui consiste à rafler toute la laine entrante, mais aussi sortante, pour la revendre dans des circuits parallèles.

Son séjour chez nous est des plus agréables mais quand je lui demande si elle envisage de revenir l’année prochaine, elle me dit que cela ne sera vraisemblablement pas le cas car ses parents ont de moins en moins d’argent.

Effectivement, l’année suivante, ma fille a une tout autre correspondante. Cette fille d’un commissaire de police a l’apparence punk, de grosses bagouzes aux doigts, un maquillage limite pute et des bottes valant six mois de salaire d’un universitaire. Elle fume comme un pompier des cigarettes américaines. Elle connaît à peine trois mots de français alors qu’elle l’étudie depuis quatre ans. Médiocre, son anglais lui permet tout juste de communiquer avec ma fille. Bref, nous sommes passés en un an de l’Alma Mater à la mafia.

Attention : je n’oppose pas le paradis socialiste de l’Union Soviétique à l’enfer capitaliste de la Russie. Le glissement vient de loin. Dans les années soixante-dix, l’homme le plus riche (une expression normalement aberrante) du pays de Brejnev était Youri, le fils d’icelui. Et pendant que le régime harcelait les intellectuels juifs qui voulaient émigrer en Israël, des groupuscules fascistes, nationalistes, antisémites prospéraient au vu et au su de tous.

Les Pussy Riots, les démocrates, les homosexuels n’ont pas fini d’en baver.
Des femmes tondues aux Pussy Riots (en passant par Youri Brejnev)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire