dimanche 23 mars 2014

Martial Ze Belinga sur la "colonisation de l'imaginaire"


Martial Ze Belinga a récemment accordé un long entretien au qutidien sénagalais Le Soleil, repris par Le Grand Soir. Il y plaide pour l'abandon du franc CFA, une "humiliation prégnante", source d'aliénation économique. dans cet extrait, il propose, après le romancier Ngugi Wa Thiong’o, une réflexion sur la décolonisation des esprits. Nous sommes aux antipodes du degré zéro de la pensée politique d'un Guaino et, a fortiori, d'un Sarkozy.

Le concept de « colonisation de l’imaginaire » ou de colonialité s’applique vraisemblablement à un énorme impensé des processus décoloniaux africains. Beaucoup a été dit sur l’aliénation culturelle comme résultat d’un processus de conversion forcée des Africains aux systèmes culturels et scolaires extérieurs. On a souligné les mimétismes, les actions volontaires ou imposées dans la conception des programmes de toute nature. En remontant l’amont de ces improductivités intellectuelles, se trouve le fait que ce que la colonisation a légué comme constitution intellectuelle et cognitive a peu été questionné en soi en Afrique subsaharienne. Avec à propos, le kenyan Ngugi Wa Thiong’o titre : « Decolonizing the mind », en français « Décoloniser les esprits ». En fait, si les actions plus ou moins conscientes reproduisent piteusement des artéfacts coloniaux, c’est parce que les catégories de la pensée n’ont pas été réinvesties et décolonisées : quel est notre conception du temps, de l’espace, des frontières, de l’urgence, de l’esthétique, des valeurs humaines, de la parenté, du don, du rapport à la nature, de l’interdit, de la liberté, etc.





Tant que nos débats n’empruntent pas l’artère des catégories de la pensée, des outils et concepts qui nous permettent de produire des réflexions, le risque est grand que nous ne soyons que pâles copies des autres, perte ontologique au pire, oserais-je. A la suite des périodisations coloniales, les Africains imaginent leur temps en précolonial, colonial et postcolonial et réduisent leur existence à quelques siècles vides d’histoire avant la pénétration coloniale, alors que le continent a été la valeur ajoutée du monde pendant des millénaires, ainsi que le démontrèrent Cheikh Anta Diop, et les autres éminents rédacteurs de l’Histoire générale de l’Afrique de l’Unesco.

Tous les savoirs anciens et endogènes dont l’Afrique regorge restent à la lisière de la pensée sur « le développement » parce que les objets de la pensée, les épistèmes, sont extérieurs, occidentaux. Au point que la critique philosophique et éthique africaine ne se fondent, à quelques exceptions près, que sur des présupposés philosophiques occidentaux ! Les conceptions propres de l’univers, de l’existence humaine, de la résolution des conflits, de la sociabilité etc. qui transparaissent des cosmogonies dogon, fang, bambara et autres, et dont témoignent les codes éthiques tels que le Heer Issa des Somali ou la Charte de Kurukan Fugan (Charte du Mandé) ne fécondent pas les projets modernes des nouvelles sociétés africaines. La faculté à imaginer l’avenir est donc enfermée dans les catégories étrangères, exogènes. On serait fondé à inférer que c’est le rêve africain qui est lui-même colonisé !

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