mercredi 5 novembre 2014

Connaissez-vous Edwin Edwards ?

Depuis une quarantaine d’années, nulle part en Occident le paradigme ne s’est déplacé aussi violemment vers la droite qu'aux États-Unis. Un républicain modéré des années soixante ferait figure de gauchiste aujourd’hui. Ce mouvement a été concomitant d’une néantisation du politique au sens noble, c’est-à-dire normal du terme. La campagne des élections législatives partielles est, à cet égard, particulièrement affligeante (ce qui n’empêchera pas nos chaînes d’info de créer le besoin en en faisant des tonnes – mais ceci est un autre débat). Les programmes ne sont que des postures (voire le nombre de candidats et candidates se présentant une arme à la main : les cow boys et les cow girls sont de retour alors que les États-Unis ont perdu quasiment toutes les guerres entreprises par eux depuis la guerre du Vietnam). Le dialogue démocratique se réduit à des échanges orduriers, des coups bas, des propos diffamatoires. La médiocrité du personnel politique est de plus en plus patente, ce qui n’est pas anormal dans un pays où le pouvoir se situe ailleurs que dans l’espace public.

Parmi des dizaines de candidats tous plus bruts de décoffrage, tous plus aberrants, en un mot tous plus monstrueux (au sens originel du terme) les uns que les autres, j’ai choisi le sémillant (il a 87 ans) Edwin Washington Edwards, archétypique d’une geste politique qui donne le vertige et suscite des renvois gastriques.

Membre du parti démocrate, Edwards fut élu gouverneur de Louisiane à trois reprises entre 1972 et 1996. Pendant toutes ces années, sa popularité ne faiblit jamais. Interrogé sur cette faveur populaire, il déclara que personne ne pouvait le battre, à moins qu'il ne soit « pris en flagrant délit au lit avec un garçon vivant ou une fille morte ». En 2001, il fut condamné à dix ans de prison pour racket. En 2007, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, plusieurs personnalités demandèrent qu’il puisse bénéficier d’une grâce présidentielle. Cette grâce lui fut refusée. Il quitta la prison d’Oakdale en 2011 et bénéficia d’une libération conditionnelle. Il retrouva tous ses droits en février 2013.


Cette même année, il participa avec sa jeune femme Trina (elle a cinquante et un ans de moins que lui) à une émission de téléréalité, “ La Femme du Gouverneur ”. En février 2014, il annonça sa candidature à la Chambre des Représentants.



Edwin Edwards voit le jour en 1927 dans la paroisse d’Avoyelles, une des plus pauvres des États-Unis. Son père est un métayer créole à moitié français, de religion presbytérienne. Sa mère, Agnès Brouillette est une catholique francophone. Rejeton de colons louisianais, l’homme politique est fier de son ascendance cajun.

Dans sa jeunesse, Edwards veut être prédicateur. Après la guerre, il fait des études de droit et s’installe dans la paroisse d’Acadie car elle manque de juristes francophones. Il épouse en 1949 Elaine Schartzenburg, dont il a quatre enfants. En 1954, il est élu au conseil municipal de Crowley avec l’étiquette démocrate. Dix ans plus tard, il est élu au sénat de Louisiane contre le titulaire démocrate en poste depuis vingt ans. En 1965, il rejoint la Chambre des Représentants où il est réélu à trois reprises. En 1971, il devient gouverneur en bénéficiant du soutien des électeurs créoles et noirs. Le soir de l’élection, il remercie les organisations noires qui l’ont soutenu (en particulier la Southern Organization for United Leadership), une adresse qu’aucun homme politique n’a osée jusqu’alors. Lors de l’élection de 1972, sa campagne se résume à des attaques personnelles contre le candidat républicain David C. Treen.

En tant que gouverneur, Edwards reprend le flambeau du populiste Huey Pierce Long (1893-1935) Surnommé le « caïd » (kingfish), Long n’éprouva jamais de réelle aversion pour les idées fascistes. Edwards fait modifier la constitution de l’État pour renforcer les pouvoirs centraux. Il nomme sa femme au sénat de Louisiane pour terminer le mandat du défunt Allen J. Ellender, à la fois ségrégationniste et opposé à la guerre du Vietnam.

Dans les années soixante-dix, la Louisiane bénéficie du renchérissement du pétrole et du gaz. Edwards en profite pour taxer davantage ces produits, ce qui lui permet d’accorder plus de crédits à l’éducation et à la santé. Il est réélu sans problème en 1975. C’est alors que le soupçon s’installe. Il est accusé d’avoir reçu des aides financières illégales durant sa campagne. Il s’en sort par un « ils n’avaient pas le droit de me les donner mais j’avais le droit de les prendre ». Il passe beaucoup de temps dans les salles de jeux de Las Vegas où la mafia n’est jamais bien loin. Un de ses anciens gardes du corps est accusé d’avoir monnayé des attributions de postes publics. En 1976, Edwards et sa femme sont accusés d’avoir été corrompus par un courtier en riz coréen qui leur aurait versé 10 000 dollars en liquide. « Un cadeau d’amitié », prétendra Edwards.



La Constitution l’empêchant de solliciter un troisième mandat immédiatement après le second, Edwards se retire de la vie politique en laissant entendre que sa retraite n’est que provisoire. En 1983, il l’emporte contre le gouverneur républicain David Treen après une campagne où les dollars ont coulé à flot. Edwards dira de Treen que son esprit était tellement lent qu’il lui fallait une heure et demi pour regarder l’émission “ 60 minutes ”.

Peu après son élection, Edwards laisse entendre qu’il ne croyait pas à la résurrection du Christ et qu’il ne s’attendait pas à monter au paradis. Le scandale est énorme mais n’empêche pas une troisième réélection. Pendant la campagne, le frère d’Edwards, Marion David s’était rendu en France et en Belgique pour réunir des fonds. Le casino de Monte Carlo s’en souvient encore.

Dans les années 80, les revenus du pétrole diminuent fortement. Edwards veut compenser cette chute en créant de nouveaux impôts. Le parlement de l’État accepte mais la popularité du gouverneur dégringole. En 1985, Edwards a de nouveau rendez-vous avec la justice pour corruption. Lui et des comparses sont accusés d’avoir touché deux millions de dollars de sociétés œuvrant pour les hôpitaux publics. Edwards est acquitté par des jurés (ses « pairs », dira-t-il) qui avait volé des serviettes éponge de l’hôtel où ils étaient confinés. Le procès avait traîné en longueur, ce qu’Edwards avait raillé en se rendant au tribunal à dos d’âne !

Pour renflouer les caisses de l’État, Edwards suggère de légaliser les jeux d’argent, ce qui contribue, à sa grande surprise, à le rendre encore moins populaire. Le sénat lui refuse la création d’une loterie d’État. Il perd l’élection de 1987. Pendant la campagne, ses adversaires popularisent le slogan : « Il faut tuer le dragon ». Comme on ne meurt jamais en politique, Edwards veut tenter sa chance en 1991. Contre lui, le suprémaciste David Duke. Face à un tel épouvantail, le président républicain des Etats-Unis en personne (George H.W. Bush) appuye sa candidature. Un slogan fait fureur : « Votez pour l’escroc, c’est important ». Edwards écrase Duke.

Durant cette nouvelle mandature, Edwards fait la part belle aux casinos et protège les LGBT contre toute discrimination dans les emplois publics. En juin 1994, après avoir épousé sa seconde femme, Candy Picou (née en 1964), Edwards annonce son retrait de la vie politique. Il laisse la Louisiane en piteux état. Les salaires des fonctionnaires sont rabougris, les enfants en échec scolaire sont légions, tout comme les bénéficiaires des allocations de survie et les mères célibataires. La population carcérale n’a jamais été aussi élevée.

Edwards reprend ses activités d’avocat à Baton Rouge.

En 1998, il est de nouveau poursuivi et condamné pour corruption active, racket, extorsion, blanchiment d’argent, fraude postale, fraude sur internet. Il promet d’être un « prisonnier modèle » tout comme il aura été un « citoyen modèle ». Il a alors 71 ans. Il engage en 2004 une procédure de divorce contre sa femme au motif qu’elle a « suffisamment souffert durant son incarcération. » Candy se remariera avec un type qui la battra comme plâtre. En prison, Edwards travaille comme bibliothécaire et il aide des prisonniers à préparer un examen d’enseignement général.



Deux anciens adversaires politiques d’Edwards demandent à George W. Bush la grâce présidentielle, ce que W. refuse en 2008. Tout comme Obama en 2011 qui ne répond même pas aux demandes.

L’un des frères d’Edwards, Nolan, anciennement procureur-adjoint pour la paroisse d’Acadie, fut assassiné en 1983 par un repris de justice à qui Edwards, en tant que gouverneur, avait accordé sa grâce. L’assassin se suicida une fois son forfait accompli.

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