samedi 14 février 2015

Une ancienne chanson de Johnny : “ J’ai une problématique ”

Je suis courroucé, exaspéré, furibond, irrité, hérissé, horripilé par l’utilisation abusive, surfaite, envahissante et usurpatoire de deux vocables de notre bonne vieille langue : « technologie » à la place de « technique » et « problématique » à la place de « problème ».

Le dérailleur ou le fil à couper le beurre sont des techniques, pas des technologies. À l’origine, la technologie (mot apparu dans notre langue au XVIIe siècle) était une dissertation sur un art, un exposé des règles d’un art. Au XIXe siècle, le sens évolua légèrement : science des techniques et des objets techniques. La technologie, c’est du logos, c’est-à-dire un discours.

Il fallut, évidemment, que l’anglo-étasunien, cette langue de tous les abus et de tous les commerces, s’en mêlât. Donc, au XXIe siècle, technologie (technology) désigna une technique de pointe, complexe, élaborée (sophistiquée, n’est-ce pas ?)

Par extension, on ne dira plus technique mais technologique, techniquement mais technologiquement. Par conservatisme et purisme, peut-être, on a gardé École polytechnique et polytechnicien.


Les neuneux des médias mettent de la problématique partout. On peut parler de la problématique des lacets de chaussures, de la problématique des taxis sans chauffeur, de la problématique de l’heure d’été sur la lallation des nourrissons. Alors, faisons simple : un problème est une question à résoudre. Pro, devant soi, et ballein, jeter. Cette acception fut la seule jusqu’au XVIIe siècle (Descartes). Au XVIIIe siècle signifia quelque chose ou une personne que l’on explique mal. Dans la seconde moitié du XXe siècle (après 1968, en particulier) est survenu le sens de difficultés affectives ou professionnelles : « Quel est ton problème ? », « Cette attitude pose problème ». Il faudra évoquer un de ces jours le remplacement de « Pas de problème ! » par « Pas de souci ! ». Alors que les soixante-huitards (dont je fus et suis – j'ai fêté mes vingt ans le soir des barricades !) voyaient des problèmes partout et voulaient problématiser du matin au soir, leurs enfants et petits-enfants lissent ou évacuent les difficultés grâce aux soucis. En ces temps de difficultés et d'horizon bouché, c'est beaucoup plus tranquille.

L’expression « pas de problème » date des années 1930, comme calque de l’anglais no problem où problem signifie moins problème que difficulté. L’expression s’est encore affaiblie pour signifier tout simplement « oui » :

- Tu peux me rendre un service ?
- Pas de problème !

Le mot problématique date du XVe siècle (avec l'orthographeprobleumaticque) : quelque chose auquel on ne peut apporter de solution, difficile à résoudre, douteux. Puis, toulours en tant qu'adjectif, mystérieux, énigmatique, suspect. Le substantif problématique vient de l’allemandProblematik (quand la philosophie d’outre-Rhin dominait la pensée occidentale) : une technique qui consiste à bien poser un problème. D’où problématiser (problématisation) : présenter sous la forme d’un ensemble de problèmes.

Camus, qui s’y connaissait en vocabulaire et en précision, avait élégamment utilisé les deux termes dans une même phrase de L’homme révolté : « Si, dans le monde sacré, on ne trouve pas le problème de la révolte, c’est qu’en vérité on n’y trouve aucune problématique réelle, toutes les réponses étant données en une fois. » En ces temps de défoulement du religieux, cette phrase de 1951 nous apporte quelques lumières.

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