mardi 31 mai 2016

Verdun : les Solfériniens ont peur du silence





Ainsi donc, Hollande et ce qui reste de sa bande ont voulu commémorer Verdun dans les flonflons. Que ces flonflons aient été du rap ou du musette importe peu. Ce qui choque, c’est cette politique du bruit à tout prix. Pourquoi pas demain “ La valse brune ” ou “ Les coups ” au camp du Struthof ? Le silence fait réfléchir. Pas la musique d’ascenseur ou celle de supermarché. Mais le solférinisme est un univers à ce point vide qu’il lui faut du bruit pour faire écran à l’image misérable que le miroir de la société lui renvoie à lui-même.

Mais, ont dit les faucialistes, il faut être moderne ! Pourquoi ne pas sensibiliser les jeunes à la boucherie de la Première Guerre mondiale en leur offrant une musique de jeunes, de la “ diversité ”, qui plus est ? Si les cours d’histoire d’aujourd’hui étaient moins ténus, moins disloqués, si leur contenu était plus hiérarchisé, il ne serait pas nécessaire de “ sensibiliser ” les jeunes à un carnage de masse qui a eu lieu il y a tout juste un siècle. Les Solfériniens ont eu peur du silence dans une région fortement touchée par le chômage à moins de deux heures de voiture du Luxembourg. Allez faire un tour à Charleville, à Sedan, à Hayange, dans cette pauvre France si proche de l’opulente Sarre, du luxueux Grand-Duché et des accueillantes Ardennes belges. Vous n’en reviendrez pas sans une bonne déprime.







Les médias de droite et d’extrême droite se sont offusqués que les faucialistes aient pensé à Black M pour les flonflons du bal. Comment, un homophobe, un antisémite qui a traité la France de pays de “ kouffars ” viendrait faire se retourner les poilus dans leur tombe ! Il est vrai que Black M s’est rendu coupable de quelques dérapages. Moins qu’on le dit. Mais même si on prend cet extrait de “ Dans ma rue ” au 17ème degré, on ne peut pas apprécier l’opposition suivante :

Dans ma rue, les Chinois s'entraident et se tiennent par la main
Les Youpins s'éclatent et font des magasins


Ces « Youpins » ne sont pas rachetés par les « niggas » (niggers, nègres), un terme d’autodérision par lequel Black M qualifie ses frères de couleur. Plus embêtants, peut-être, sont les appels à la violence, voire au meurtre, comme dans “ Jema El-Fna ” :

Sous-estimer le Black ne fait plus jamais ça
Sinon j'te fais payer le triple comme à Jemaa El-Fna (oh ohoh)
Sous-estimer le Black ne fait plus jamais ça
Sinon j'te fais payer le triple comme à Jemaa El-Fna (oh ohoh)


Rappelons qu’en avril 2011 un djihadiste commit sur la place Jemma El-Fna, dans le café Argana, à la clientèle plutôt “ chrétienne ”, un attentat qui fit 17 morts de diverses nationalités (au moins 6 Français).

Du coup, j’ai épluché les paroles des chansons de Black M. Ce n’est pas exactement ma tasse de thé mais nous sommes en présence d’une resémantisation de la langue française, de la création par la langue d’un univers très personnel, celui de marges de la société que nous connaissons si mal, d’un monde d’empathie, de solitude, de bravache, d’amour et d’humour. Comme dans la chanson “ Spectateur ” :

C'est bientôt la fin du monde, mais le monde s'en fout
Le monde, lui, veut faire des lovés autant qu'dans l'foot
Certains seront sûrement sauvés, mais, moi, j'sais ap'
Trop d'péchés exposés, ouais rien qu'j'dérape
Tu veux qu'j'te raconte ma story, ces moments maudits
Où l'Sheïtan est l'seul spectateur qui applaudit ?
Eh bah non, j'peux pas m'plaindre, mon compte : il est blindé
Mon savoir est une arme qui ne cesse de tout flinguer
Mais la vie c'est pas l'rap, même si je rappe ma vie
Un mal fou à être présent parce que le monde va vite
Les petits reufrés sont timbrés, ne cessent de s'flinguer
Les commissaires, eux, prennent un plaisir à les épingler
Et quant à nos sistas, rien qu'on assiste à
Des auto-destructions, des femmes tristes
Pimpées, bimbos, pour séduire les gringos
Akhi, les gens sont prêts à tout pour remplir le frigo


Un monde de quête de reconnaissance, comme dans sa chanson “ Mme Pavoshko ”, où il s’en prend à une enseignante qui discrimine les élèves :

J'suis pas en prison ou à l'hosto', non
J'fais des hits, madame Pavoshko
Et vos gosses me kiffent, madame Pavoshko
Oui, oui, oui, oui, oui, madame Pavoshko
J'ai toujours autant d'inspi' madame Pavoshko
C'est pour mes gars sous weed, madame Pavoshko
Si vous voulez, on s'tweete, madame Pavoshko


Encore une fois, ce n’est pas Black M qui était au centre de la controverse. On ne « fête » pas une bataille qui fut, avec ses 700 000 morts, à la fois une victoire française et la plus grande catastrophe de l’histoire de l’humanité. On la commémore. On ne mélange pas les genres. Quant à faire courir des milliers d'ados entre des tombes, même le Jack Lang de la grande époque n'y aurait pas pensé. Comme d’habitude, les Solfériniens ont capitulé devant l’extrême droite, devant tous les Ménard rancis. Ils ont bâclé une louable initiative, n’ont donné aucun sens à ce fort symbole.


PS : Il y a un quart de siècle, un ami allemand me demanda de le conduire à Oradour-sur-Glane. Né en 1938, fils de pasteur ayant résisté passivement à l'ordre nazi, ce quinquagénaire n'avait naturellement aucun responsabilité – individuelle ou collective – dans la barbarie des SS. 

Nous marchâmes dans les rues d'Oradour pendant une bonne heure. Je lui fit comprendre ce qu'il s'était réellement passé dans l'église du village. Je lui montrai le petit jardin par lequel s'était enfui l'un des gosses promis à la mise à mort collective par le feu. Nous n'échangeâmes pas plus de trois phrases.

“ Je n'ai jamais pu m'y rendre seul ”, me dit à la fin de la visite cet homme francophile, francophone, profondément humaniste. “ Je ne pouvais y aller qu'avec toi, mon meilleur ami français ”.


PPS : Une rescapée d'Oradour vient de refuser d'être élevée au rang de commandeur  de l'ordre national du mérite par Valls, en solidarité avec les travailleurs qui luttent contre la loi El Khomri. Il est des gifles qui ne se perdent pas.

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