jeudi 11 août 2016

Thierry Lepaon dans le texte


Dans ce blog, un principe, absolu : jamais d’attaques personnelles. On ne va pas commencer avec Thierry Lepaon même si, d’emblée, on ne l’a jamais trouvé sympathique, affriandant, exaltant. On oublie l’histoire des meubles de fonction luxueux. On s’intéressera à ce qu’il a pu faire, dire et écrire es qualité. Et là, c’est bien malheureux, mais on s’aperçoit, qu’il s’est CFDTïsé, en marchant sur les pas de Notat, de Chérèque ou de Kaspar, ces dirigeants syndicaux prônant un syndicalisme de confort, de “ dialogue ” et qui ont accepté des cadeaux de reconversion à leur main.

Lepaon vient donc d’être nommé président de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Pourquoi pas ? Les objectifs de cette agence sont très honorables : lutter contre l'illettrisme dans le cadre des orientations définies par le gouvernement, coordonner l’action des acteurs de la lutte contre l’illettrisme, évaluer l’impact des politiques menées dans ce domaine. Jusqu’alors, la présidence de cette agence (budget annuel : 1 200 000 euros) n’étais pas rémunérée. L’agence avait été fondée en 2001 par Marie-Thérèse Geffroy, ancienne inspectrice générale de l’Education nationale, de sensibilité politique droite chrétienne. Madame Geffroy en avait été sa directrice puis sa présidente (à écouter ici un bref entretien avec elle). Elle a appris son éviction pratiquement en lisant les journaux. Selon Le Canard Enchaîné, l’agence serait refondue pour que le nouveau président puisse être payé. Cela tombe bien, mais, après tout, toute peine mérite salaire. L’agence serait dénommée l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale. Il est bien temps, en effet, de comprendre qu’il existe une vraie relation entre la connaissance de la langue française (combien d’heures de français par semaine les collégiens et lycéens ont-ils perdu par la faute de Sarkozy, puis de Hollande ?) et la cohésion sociale.

Le problème est que cela fait un bon moment que Lepaon, comme ses collègues de la CFDT, fricote avec le réformisme, loin des idéaux d’un syndicalisme de lutte. Alors qu’il était membre du Conseil économique et social, où il avait été nommé en tant que responsable de la CGT, Lepaon avait cosigné avec Jean-Marie Geveaux, président du Conseil général de la Sarthe et représentant d’une droite très authentique, un rapport concernant l’ouverture à la concurrence des TER. Dans ce rapport, il écrivait ceci :

« Il n’aura échappé à personne dans cette assemblée que la locution « ouverture à la concurrence » appliquée à un noyau dur du service public peut agir immédiatement comme un chiffon rouge. Dans le monde ferroviaire, agiter un chiffon rouge est justement le moyen le plus ancien, mais toujours en vigueur, pour signifier l’arrêt d’urgence notamment lorsqu’il s’agit d’une manœuvre. (…) Nous avons imaginé des évolutions possibles au plan social dans la perspective d’une ouverture à concurrence qui semble se dessiner. »

Et également ceci :

« Ce texte présente une grande unité de ton révélatrice d’un consensus assez fort sur le sens que devrait avoir une expérimentation (de privatisation de la SNCF), si l’Etat le décide, et sur les principes que doivent inspirer sa conduite pour concourir à son succès. J’ai employé à dessein le mot consensus et je souhaite maintenant dissiper toute erreur d’appréciation sur ce terme. Il n’aura échappé à personne dans cette assemblée que la locution « ouverture à la concurrence » appliquée à un noyau dur du service public peut agir immédiatement comme un chiffon rouge. Dans le monde ferroviaire, agiter un chiffon rouge est justement le moyen le plus ancien, mais toujours en vigueur, pour signifier l’arrêt d’urgence notamment lorsqu’il s’agit d’une manœuvre. « Je dois dire que j’ai personnellement considéré comme un challenge [sic; ah, l'illettrisme...] de faire la preuve qu’il était possible, et même utile, de dépasser le stade de la réaction allergique afin de clarifier les idées en affrontant la réalité. Affronter la réalité, c’est toujours confronter les points de vue, polir ses arguments en les frottant, souvent vigoureusement, à ceux des autres. »

Le simple fait de s’atteler à une telle tâche, de se confronter à une telle thématique était déjà suspect de la part d’un CGTiste, du responsable d’un syndicat qui a fait vivre, des décennies durant, les valeurs du service public dans cette grande entreprise nationale. Mais proposer un « diagnostique partagé » (un cheval, une alouette ?), en contradiction formelle avec l'orientation de la fédération CGT des cheminots (voir ici ce que la CGT pensait de la privatisation des TER britanniques), relevait de la trahison pure et simple, qu’on aurait comprise venant d’un social-démocrate pur sucre. D’autant que le 19 février 2014, Lepaon se confiait longuement au Nouvel Economiste qui avait la bonté de titrer cet entretien « Pour que le consensus émerge, il doit y avoir affrontement ». Mais oui, mais oui !
Thierry Lepaon dans le texte
Dans cet entretien, Lepaon se défendait de toute opposition de principe face aux dirigeants d’entreprise. Il parlait de compromis et de pragmatisme syndical. Il revendiquait l’émergence d’un “ syndicalisme utile ”, capable de réguler. Certes, il déplorait que, pour la première fois, la courbe des dividendes était passée au-dessus de celle des investissements dans l’entreprise. Mais le point d’orgue de cet entretien était ces mamours adressés au patronat : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. Sur ce plan, il est évident que le pragmatisme syndical s’impose. Cette perspective ne me gêne pas, pas plus que celle du compromis qui s’inscrit dans les réalités de l’entreprise depuis toujours : encore une fois, dès lors que nous sommes contraints de vivre ensemble, il faut bien trouver les conditions de ce vivre-ensemble. C’est pourquoi je considère que la vocation d’un syndicat ne se résume plus aujourd’hui à protéger les salariés mais consiste à agir pour faire évoluer non seulement le monde du travail mais aussi la perception qu’on en a à incarner une forme de régulation sociale. »

Est-ce la fréquentation de clubs de réflexion regroupant des chefs d’entreprise, des DRH et des syndicalistes, comme le Quadrilatère (fondé par l’ancien journaliste Denis Boissard, aujourd’hui membre de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie) qui ont amené Lepaon à réfléchir à partir des prémices de « l’ennemi de classe » ? Après tout, son camarade Jean-Christophe Le Duigou a traîné son rond de serviette au Siècle (le grand club de réflexion de la bourgeoisie), que Notat présida pendant deux ans.

Collaborateur de classe, Lepaon, comme d’autres éminences de la CGT, est au diapason de la Confédération européenne des syndicats – seul regroupement reconnu par l’Union européenne, mais aussi par l’Association européenne de libre-échange – une CES dont la secrétaire générale, la Française Bernadette Ségol est pour une Europe unie « avec une dimension sociale ».

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