samedi 5 novembre 2016

Une lettre d'Helen Keller au New York Symphony Orchestra


Sourde, aveugle et muette de naissance, Helen Keller fut la première femme handicapée à obtenir un diplôme universitaire. Elle milita au sein de mouvements socialiste, féministe et pacifiste. Elle décéda en 1968 à l'âge de 88 ans après avoir écrit une douzaine de livres.

Le soir du 1er février 1924, le New York Symphony Orchestra joue Beethoven à guichet fermé. Derrière son poste, Helen Keller écoute cette prestation. Le lendemain, elle écrit une lettre de remerciements au chef d'orchestre.


Chers amis, 

Je suis heureuse de pouvoir vous dire que, bien qu'étant sourde et aveugle, j'ai vécu un moment fantastique hier soir en écoutant la Neuvième Symphonie de Beethoven à la radio. Je ne prétends pas avoir entendu la musique au sens où l'entendent les autres; et je ne sais pas si je puis vous faire comprendre comment il m'a été possible de puiser du plaisir dans cette symphonie. Ce fut, pour moi-même, une grande surprise. Je savais, par la presse pour aveugles, quel bonheur la radio offre partout à ceux qui souffrent de cécité. Et j'étais enchantée d'apprendre que les aveugles bénéficiaient d'une nouvelle source de joie ; mais je n'aurais osé rêver de prendre part à ce sentiment. Hier soir, alors que la famille écoutait votre merveilleuse interprétation de l'immortelle symphonie, on m'a suggéré de poser la tête sur le poste, pour voir si je pourrais éventuellement ressentir les vibrations. On a dévissé le cache du haut-parleur, et j'ai effleuré avec précaution le fragile diaphragme. quel ne fut mon ravissement lorsque j'ai découvert que je sentais non seulement les vibrations, mais le rythme frénétique, la pulsation et la hâte de la musique. Les vibrations entrelacées et mêlées des différents instruments m'ont enchantée; Je pouvais même distinguer les cornets à pistons du roulement des tambours ; le chant, en délicieux unisson, des violes au timbre grave et des violons. Comme le joli phrasé des violons flottait et sinuait au-dessus des notes profondes des autres instruments !




Quand les voix humaines jaillissaient en trille de l'harmonie déferlante, je les reconnaissais instantanément. j'ai senti le chœur se faire plus exultant, plus extatique, bondissant avec la promptitude d'une flamme, jusqu'à ce que mon cœur en soit presque pétrifié. Les voix féminines semblaient incarner toutes les voix angéliques versant dans un flot harmonieux de sons exquis, inspirants. Ce formidable chœur a battu contre mes doigts avec une fluidité remarquable et des pauses poignantes. Puis, tous ensemble, instruments et voix ont surgi – un océan de vibrations divines – pour mourir, tels des vents quant l'atome est épuisé, et finir en bruine de notes délicates. 


Bien sûr, cela n'était pas « écouter », mais je sais que les tons et les harmonies m'ont transmis des impressions de grande beauté, de majesté. J'ai également ressenti, ou cru ressentir, les tendres sonorités de la nature chantant dans ma main. Jamais auparavant, je n'avais été ainsi fascinée par une multitude de vibrations tonales. 

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