vendredi 4 novembre 2016

Une lettre d'Olympe de Gouges à Marie-Antoinette


Après l'exécution d'Olympe de Gouges, le procureur de la Commune de Paris, Pierre Gaspard Chaumette, évoqua une « virago, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes [...]. Et vous voudriez les imiter ? Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »

Celle qui avait dénoncé les excès sanglants de la Révolution et la place indigne faite aux femmes par les révolutionnaires fut exécutée après un procès de dix minutes où elle parvint néanmoins à défendre magnifiquement sa cause sans l'aide d'un avocat qui lui avait été refusé. Par peur de perdre sa place, son fils, adjudant-général, la renia.

Deux ans auparavant, Olympe, croyant qu'elle trouverait auprès de la reine de France une oreille emphatique, adressa à Marie-Antoinette une lettre où elle réclamait l'égalité entre les hommes et les femmes. Cette lettre fut jointe à sa célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée, en le pastichant, sur le modèle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Olympe croyait, peut-être, en la solidarité spontanée, “de femme”, de la reine de France.

Madame,



Peu faite au langage que l’on tient aux Rois, je n’emploierai point l’adulation des Courtisans pour vous faire hommage de cette singulière production. Mon but, Madame, est de vous parler franchement ; je n’ai pas attendu pour m’exprimer ainsi, l’époque de la Liberté : je me suis montrée avec la même énergie dans un temps où l’aveuglement des Despotes punissait une si noble audace. Lorsque tout l’Empire vous accusait et vous rendait responsable de ses calamités, moi seule, dans un temps de trouble et d’orage, j’ai eu la force de prendre votre défense. Je n’ai jamais pu me persuader qu’une Princesse, élevée au sein des grandeurs, eût tous les vices de la bassesse.


Oui, Madame, lorsque j’ai vu le glaive levé sur vous, j’ai jeté mes observations entre ce glaive et la victime ; mais aujourd’hui que je vois qu’on observe de près la foule de mutins soudoyée, et qu’elle est retenue par la crainte des lois, je vous dirai, Madame, ce que je ne vous aurais pas dit alors. Si l’étranger porte le fer en France, vous n’êtes plus à mes yeux cette Reine faussement inculpée, cette Reine intéressante, mais une implacable ennemie des Français.

Ah ! Madame, songez que vous êtes mère et épouse ; employez tout votre crédit pour le retour des Princes. Ce crédit, si sagement appliqué, raffermit la couronne du père, la conserve au fils, et vous réconcilie l’amour des Français. Cette digne négociation est le vrai devoir d’une Reine. L’intrigue, la cabale, les projets sanguinaires précipiteraient votre chute, si l’on pouvait vous soupçonner capable de semblables desseins. Qu’un plus noble emploi, Madame, vous caractérise, excite votre ambition, et fixe vos regards. Il n’appartient qu’à celle que le hasard a élevée à une place éminente, de donner du poids à l’essor des Droits de la Femme, et d’en accélérer les succès. Si vous étiez moins instruite, Madame, je pourrais craindre que vos intérêts particuliers ne l’emportassent sur ceux de votre sexe.





Vous aimez la gloire ; songez, Madame, que les plus grands crimes s’immortalisent comme les plus grandes vertus ; mais quelle différence de célébrité dans les fastes de l’histoire ! l’une est sans cesse prise pour exemple, et l’autre est éternellement l’exécration du genre humain. On ne vous fera jamais un crime de travailler à la restauration des moeurs, à donner à votre sexe toute la consistance dont il est susceptible. Cet ouvrage n’est pas le travail d’un jour, malheureusement pour le nouveau régime. Cette révolution ne s’opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort, et des droits qu’elles ont perdus dans la société. Soutenez, Madame, une si belle cause ; défendez ce sexe malheureux, et vous aurez bientôt pour vous une moitié du royaume, et le tiers au moins de l’autre. Voilà, Madame, voilà par quels exploits vous devez vous signaler et employer votre crédit. Croyez-moi, Madame, notre vie est bien peu de chose, surtout pour une Reine, quand cette vie n’est pas embellie par l’amour des peuples, et par les charmes éternels de la bienfaisance. S’il est vrai que des Français arment contre leur patrie toutes les puissances, pourquoi ? pour de frivoles prérogatives, pour des chimères. Croyez, Madame, si j’en juge par ce que je sens, le parti monarchique se détruira de lui-même, qu’il abandonnera tous les tyrans, et tous les cœurs se rallieront autour de la patrie pour la défendre. 

Voilà, Madame, voilà quels sont mes principes. En vous parlant de ma patrie, je perds de vue le but de cette dédicace. C’est ainsi que tout bon citoyen sacrifie sa gloire, ses intérêts, quand il n’a pour objet que ceux de son pays.

Je suis avec le plus profond respect, Madame, Votre très-humble et très-obéissante servante, De Gouges.

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