mardi 30 mai 2017

Les enfants chlorés du Rhône

J’admire les nageurs de haut niveau : les carrières sont courtes, les rigueurs de l’entraînement sont dures. Á de très rares exceptions près, ils ne gagnent pas un centime et ils entrent dans la vie active, éventuellement comme entraîneurs avec des salaires tournant autour du SMIC, quand ils n’exercent pas de manière bénévole.

Les jeunes de haut niveau sont des gosses formidables : en plus de leur scolarité, ils nagent, dès l’âge de 12 ans, 12 à 20 heures par semaine, sans compter la préparation physique générale (pompes, gainage, assouplissement, course à pied, etc.). Pendant les vacances de Noël ou de Pâques, au lieu, comme leurs camarades de classe, de se reposer à la maison ou chez papi et mamie, ils doublent les entraînements et nagent de 80 à 100 km en deux semaines. Récemment, je visionnais une vidéo avec Christine Caron, qui battit le record du monde du 100 mètres dos en 1964 à l’âge de 16 ans. Son entraîneuse, la légendaire Suzanne Berlioux, y expliquait que, lorsque Christine effectuait un entraînement dur, elle nageait 3 000 mètres. Lorsque nos nageurs de 12-13 ans effectuent en entraînement léger (un décrassage après une compétition), c’est alors qu’ils nagent 3 000 mètres. Ces efforts sont accomplis tandis que, par ailleurs, ils sont en pleine croissance, de sorte que les machines sont à la fois surpuissantes et en même temps fragiles.

Parmi les ennemis implacables que comptent les nageurs, le chlore et ses dérivés sont certainement les plus invasifs. Quand un pays comme l’Allemagne mène une politique de « déchlorification » de ses piscines, la France continue plus que jamais de les chlorer. Ainsi, dans le grand Lyon, il n’y a, à ma connaissance, qu’une piscine sans chlore.

Rébecca, ma petite dernière, est championne de haut niveau depuis qu’elle a commencé la compétition à l’âge de huit ans. Il se trouve – je n’en tire aucune gloriole ou fierté mais j’en suis très heureux pour elle – que, dans le département du Rhône et, au-delà, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, elle gagne tout ce qu’elle veut, dans toutes les distances et dans toutes les nages.

Tout barbotait pour le mieux pour elle dans le meilleur des mondes jusqu’à sa rencontre violente avec le chlore. Cela se passa le 11 février 2017 à la piscine de Chassieu. Lorsque nous entrâmes dans le hall de cet établissement, nous fûmes pris à la gorge par une forte odeur de produits chlorés. Ceux qui, comme moi, n’étaient jamais venus dans cette piscine réalisèrent qu’elle avait été construite par des donneurs d’ordre et des architectes de manière particulièrement imbécile : le public – les parents, donc – étaient séparés de leurs enfants nageurs par une vitre épaisse ne permettant même pas d’entendre ce qui se passait autour du bassin. Lorsque j’en fis la remarque au président du Comité du Rhône, il me répondit qu’être séparé par une vitre « est assez inconfortable pour les parents mais c’est plutôt un bénéfice pour toutes les personnes au bassin (nageurs, éducateurs et officiels) ». Si j’ajoute à cela que les gradins permettent l’accueil d’une cinquantaine de spectateurs alors que nous étions une centaine de parents et que ce genre de compétition dure environ quatre à cinq heures, on imaginera le confort qu’offrait ce bocal surchauffé et insonorisé !

J’avais bien remarqué que les responsables de la piscine n’avaient ouvert aucune porte-fenêtre pour aérer les lieux mais il m’avait échappé que, par négligence, les nageurs avaient déposé leurs sacs de sport sur les aérations. Ce petit détail avait également échappé à tous les entraîneurs, ainsi qu’aux responsables de la piscine et aux organisateurs de la compétition.

Durant la première course, un 400 mètres 4 nages que ma fille remporta, je me rendis compte que quelque chose n’allait pas la concernant. Elle était moins vive, moins “saignante” que d’habitude. Lorsqu’elle sortit du bassin, je la vis trembler, suffoquer. Un de ses entraîneurs l’aida à respirer, pour ce que j’en vis à 50 mètres de distance. Au bout de dix minutes, je parvins à entrer en communication – téléphonique ! – avec elle. Je lui suggérai de se couvrir et de me retrouver dehors pour marcher et respirer. Elle tremblait toujours, avait des nausées et me dit – ce qui m’inquiéta sérieusement – qu’elle ressentait des picotements dans tout le corps. Je crus – à tort heureusement – que ce symptôme pouvait être associé à un problème cardiaque. Á aucun moment, on ne proposa à ma fille de l’oxygène, on ne lui prit sa tension, on ne vérifia son taux d’oxygénation. On ne s’enquit pas non plus de la présence d’un médecin. En six ans de compétition et plus de 200 épreuves, ma fille n’avait jamais éprouvé ce type de malaise spectaculaire.



Les enfants chlorés du Rhône
Le lendemain, en discutant avec plusieurs parents, je m’aperçus que de nombreux enfants avaient eu des problèmes de toux, de vomissement et de respiration dans la soirée et au cours de la nuit. Ce jour-là (la compétition durait deux jours), conscients ou pas de leur bévue, les organisateurs de Chassieu ouvrirent deux portes vitrées, ce qui aéra les lieux.

Dans un courriel que j’adressai le 13 février au président du Comité du Rhône, je suggérai que la piscine de Chassieu ne fût plus jamais requise à des fins de compétition. Le président me répondit que « le comité manque cruellement de bassins mis à sa disposition de façon gratuite ou payante, pour pouvoir se passer de l’aide d’une municipalité bienveillante ». Il ajouta : « Je transmets toutefois votre courriel à tous les membres du conseil d’administration du comité car il soulève des questions qui méritent d’être débattues lors de notre prochaine réunion le 9 mars et vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments ». Je n’ai eu aucun suivi à ce jour.

Il me restait à savoir avec précision de quoi souffrait ma fille. Je lui fis consulter deux spécialistes qui, après les tests bien connus consistant à faire vider ses poumons au patient avant et après prise de Ventoline, en arrivèrent à la même conclusion : Rébecca ne souffrait pas d’asthme mais ses bronches et le haut des poumons avaient été attaqués. Il convenait d’attendre patiemment et sans aucun traitement que les choses rentrent dans l’ordre.

Si je puis dire, ma femme et moi, nous respirâmes. De fait, il y eut du mieux. Y compris début mai lorsque ma fille s’aligna dans le 200 mètres 4 nages du Championnat de France des Régions à Besançon. Je craignais le pire : pour l'emporter, il lui faudrait se donner à fond. Elle gagna, sans problème de ventilation. Dès le lendemain, les ennuis recommencèrent, à l’entraînement, puis en compétition les 28 et 29 mai.

Dans la piscine de Décines, parfaitement aérée et sans odeur de chlore particulière, ma fille était engagée dans six épreuves du Championnat du Rhône où elle était largement favorite. Elle en remporta quatre, trois fois en suffoquant, et dut abandonner la compétition lors d’un 400 mètres nage libre où elle menait largement.

Contrairement à ceux de Chassieu, les officiels de Décines furent irréprochables : ils l’installèrent sur une civière, appelèrent ses parents qui étaient dans les tribunes, prirent sa tension, son rythme cardiaque, son taux d’oxygénation et firent venir les pompiers. Trente minutes plus tard, Rébecca avait retrouvé toutes ses facultés.

Je ne suis ni médecin ni psychologue mais j’imagine qu’à la base de ses crises, il peut y avoir une part de somatisme.  L’attaque subie par son organisme a peut-être débouché sur des problèmes de mauvais stress, de diaphragme qui ne fonctionne plus comme il devrait. Il lui reste deux compétitions importantes dont un championnat de France à la mi-juin. Comme elle est une battante, elle veut en être. Elle va subir de nouveaux examens, radios, test d’effort et autres.

Nous avons revu hier une pneumologue qui, après le test à la Ventoline, pense que Rébecca souffre d'un asthme à l'effort. C'est guérissable : en un mois, un an, trois ans. Elle ne peut se prononcer.
Les enfants chlorés du Rhône

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