samedi 24 juin 2017

Jean Ortiz. Vive le Che !. Paris : Les Éditions Arcane, 2017



En exergue de ce livre de braises, Jean Ortiz cite Marx (« Le révolutionnaire doit être capable d’entendre l’herbe pousser »), Hugo (« Une révolution est un retour du factice au réel ») et Char (« celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience »).

Le temps passe : il y a exactement un demi siècle, Ernesto “ Che ” Guevara était assassiné sur ordre de la CIA, au bout d’un combat qui s’était transformé en calvaire. Dans une magnifique préface, le poète toulousain Serge Pey relate que Mario Terán, le tueur dont les sbires étasuniens avaient armé le bras, avait dû boire de l’alcool de maïs pour « faire le crime », contre une montre et un voyage à West Point. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là. Terán vécut sous une autre identité et, en 2007, il fut opéré – gratuitement bien sûr – de la cataracte par des médecins cubains. Son fils tint à remercier, dans les colonnes d’El Deber de Santa Cruz, les médecins qui avaient rendu la vue à son père dans un hôpital offert par Cuba et inauguré par le président Evo Morales. Il est des héros et des révolutions qui ne mourront jamais dans le cœur et les yeux des humains.

Une des raisons pour lesquelles Ortiz a souhaité écrire ce livre est qu’en cette ère de capitalisme financier assurant son hégémonie par une idéologie totalitaire, il faut combattre « l’inversion totale du sens par le système néolibéral, riposter à l’anéantissement des contenus par la politique spectacle et le marketing politique ». Il fallait rappeler que Guevara n’était pas “ que ” – même si c’était déjà beaucoup – la photo de Korda.

Lorsque le Che, Fidel et leurs compagnons entament la lutte armée contre le pouvoir sanglant, infect et corrompu d’un Battista qui, avec l’aide de la CIA, avait interrompu le processus démocratique qui devait amener une équipe progressiste au pouvoir, l’île compte 500 000 enfants privés d’école et un million d’adultes illettrés (en un an, grâce à une campagne saluée par l’UNESCO, l’analphabétisme aura complètement reculé). 90% de la population des campagnes est dénutrie. 13 des 22 latifundios de canne à sucre appartiennent au grand voisin du nord. Celui de la Cuban Atlantic Sugar Company (fondé en 1935) a la taille d’un département français. Ortiz rappelle qu’il faut toujours « contextualiser » ce dont on parle. Se souvenir – pour savoir d’où vient la violence originelle – que, dès mars 1960, le président Eisenhower donna le feu vert à une puissante opération de déstabilisation de Cuba, qui commença par l’explosion criminelle du cargo français La Coubre, bourré d’armement acheté à la Belgique, qui fit 75 morts et 200 blessés. C’est lors des obsèques des victimes qu’Alberto Korda prit la célébrissime photo du Che.

Note de lecture (168)

L’impérialisme étasunien n’oubliera jamais sa première défaite en Amérique latine dans la Playa Girón de la Baie des Cochons. Le 3 février 1962, Kennedy instaura un blocus économique total de l’île, au mépris du droit international.

Ortiz qualifie Guevara – par ailleurs médecin dans le civil – d’« intellectuel communiste de haut niveau, de penseur marxiste, de “ guerillero ” de la pensée et de l’action ». Il ancre son communisme dans Marx et Lénine, mais aussi dans les actions et les écrits de José Martí. Ainsi que dans ceux de Gramsci et, naturellement, de Castro. Dans sa très belle lettre d’adieu à Fidel en 1965, il le remerciera pour ses conversations très nourries.

Guevara repèrera très rapidement la spécificité de la révolution cubaine, le fait qu’elle soit « sorti du moule orthodoxe courant ». Il pense ainsi que la tentative de l’URSS de “ rattraper ” les Etats-Unis ne peut être un objectif révolutionnaire, qu’il faut faire « autre chose ». Dans ses Notes critiques d’économie politiques, il remet en cause le socialisme d’État de l’URSS, l’habitude soviétique de « considérer comme des “ lois ” des évolutions historiques spécifiques ». Son Discours d’Alger du 24 février 1965 est un discours de rupture dans lequel il accuse l’URSS de complicité avec les États-Unis dans l’exploitation des peuples du Tiers-Monde. Mais Ortiz relève que Guevara était communiste avant Castro, « marqué par ses périples à travers le continent, ses contacts avec les travailleurs, l’influence de son père ».

Bien sûr, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. L'auteur ne cèle pas la période de l’épuration, de l’élimination des tueurs à la solde de Battista qui, en sept ans, avaient assassiné 20 000 Cubains. L’épuration guevariste (Fidel l’avait chargé de cette besogne qu’il accomplit dans les règles judiciaires) fit 500 victimes (9 000 en France après 1945). Les tribunaux révolutionnaires furent fermés le 1er décembre 1959.

Le Che n’est pas parti pour la Bolivie (après 40 heures de discussion avec Fidel dont on ne sait toujours rien) pour « prendre le pouvoir » mais pour créer une base pour des guérilleros avant de les introduire au Venezuela, au Pérou et en Argentine. Il écrit ensuite à son compagnon d’armes : « J’ai le sentiment d’avoir rempli cette part de mon devoir qui m’a lié à la révolution cubaine sur son territoire et je vous dis adieu à toi et aux compañeros, à votre peuple qui est déjà le mien. » Ortiz explique le fiasco de l’expédition par son « enfermement », par le fait qu’un « Blanc » ne pouvait entraîner le soutien des Quechuas, des Amayras, des populations qui avaient résisté à la colonisation et « se méfiaient de toute greffe extérieure ” occidentale ” ».

Comme le disait le sociologue marxiste Michæl Löwy, quand le Mur de Berlin est tombé, il n’est pas tombé sur le Che car sa figure révolutionnaire reste présente dans l’imaginaire rebelle. Son engagement, précise Jean Ortiz, fut « sincère, désintéressé, absolu ». Tous ceux qui eurent 20 ans en 1968, mais qui ont changé de trottoir, ont pris un coup de vieux. Pas Ernesto Guevara qui, bien qu’il ait été vaincu, « garde aujourd’hui tout son incandescence ».

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