lundi 26 juin 2017

Quelques histoires de dopage


Je ne me souviens plus si j’ai déjà raconté ce mini événement très parlant. Il y a une bonne vingtaine d’années, un collègue m’invite à assister à une course cycliste de minimes où, espère-t-il, son fils doit briller. On se plante en un endroit tranquille du circuit de trois kilomètres que les coureurs doivent parcourir 20 fois. Á nos côtés, un type plus âgé que nous, bien conservé. Sa tête me dit quelque chose mais je suis incapable de me souvenir où j’ai bien pu le rencontrer. En fait, je ne l’ai jamais «vu», hormis en photo. Je le questionne le plus habilement possible sur sa pratique du vélo et il nous dit qu’il a été professionnel pendant une dizaine d’années. Fichtre! Et dans l’équipe d’Anquetil, l’idole de ma jeunesse. « Bon sang, mais c’est bien sûr», lui dis-je, et vous vous appelez X. Il opine. Je lui demande quel était son rôle dans l’équipe du champion normand. « J’étais le goûteur d’Anquetil », répond-il sans aucun problème. Hé oui, comme Cléopâtre, Anquetil avait un goûteur, un goûteur de pilules.

J’ai repensé à cet épisode en broutant dans le Grand Robert et en tombant – alors que je cherchais autre chose – sur l’expression « courir comme un dératé ». Au XVIIIe siècle, on pensait que le point de côté, cette douleur abdominale extrêmement désagréable qui nous tombe dessus lorsque nous courons, était dû à la rate. On se disait que l’ablation ou la dessiccation de cet organe, dont le rôle immunitaire est capital, permettait aux humains, aux chevaux, aux chiens de courir plus vite, plus longtemps, sans être essoufflé. Ce qui était vraisemblablement faux. Cette théorie incongrue datait de l’Antiquité et avait mise en œuvre lors de Jeux Olympiques.

Cela fait belle lurette que les humains se dopent. Nos ancêtres de la préhistoire se gavaient de sang pour augmenter leur force. Les athlètes des JO antiques consommaient beaucoup de viande, mais aussi de la tisane à base de prêle des champs ou de feuilles de sauge pour dilater la rate. Au XVIIe siècle, le docteur allemand Godefroy Moebius détruisit la rate de quatre coureurs en brûlant directement la glande à l’aide d’un fer rougi. Il avait jugé l’expérience très positive puisque un seul cobaye était mort. Á la même époque, on considérait comme une potion miracle un mélange de peau de loup et de cheveux de pendu. En Scandinavie, les berserks, ou guerriers fauve, multipliaient, selon la légende, leur fureur par douze en ingurgitant une drogue appelée butotens (d’où l’expression anglaise « to go berserk » : devenir fou furieux). Pour lutter contre le stress, les Asiatiques consommaient du ginseng, les Péruviens des feuilles de coca, les précolombiens de la gentiane ou des champignons hallucinogènes. Á la fin du XIXe siècle, l’apparition des 6 jours cyclistes entraîna la fabrication de toutes sortes de remèdes miracle pour permettre aux coureurs de tourner indéfiniment. Les années soixante virent la généralisation des amphétamines. Les années 80 furent la décennie de la testostérone, les années 90 celles de l’EPO. Il avait fallu attendre 1965 pour que le parlement français vote la loi Herzog, première loi anti-dopage (dopage qu’on appela longtemps « doping », comme si cette pratique était une invention anglo-saxonne). Il y eut ensuite la loi Bambuck de 1989 et la loi Buffet de 1999, suite à l’affaire Festina. En 1996, un tiers des cyclistes français avaient été contrôlés positifs.

Pour fausser les résultats sportifs, on utilisa également une méthode aussi dangereuse que scandaleuse : la prise d’hormones pour changer de sexe. Dans les années soixante, les sœurs Irina et Tamara Press remportèrent d’innombrables épreuves en haies et pentathlon. Elles disparurent des compétitions en 1968 lorsque fut imposé un test de féminité. Pendant plusieurs années, la néerlandaise Ria Stalman domina sans conteste les concours de poids. En 2016, elle avoua s’être dopée pour les JO de 1984 : « dans les deux dernières années de ma carrière j'ai pris un léger dosage de stéroïdes anabolisants, 5 à 10 milligrammes par jours. C'était déjà interdit à l'époque, mais je pouvais les prendre sans risque car il n'y avait pas de contrôle en dehors des compétitions. Je voulais aller aux JO. En tant que lanceuse anodine, j'avais déjà pu voyager dans l'Europe de l'Est. Mon record personnel au disque était de 56 mètres. Et pendant les échauffements en compétition, je voyais bien qu'il se passait quelque chose avec tous ces gens autour des athlètes. Et je me faisais botter le cul par des lancers qui allaient 15 mètres plus loin que les miens. Je me suis demandé ce que je pourrais bien faire pour les battre aux JO. Si tu ne peux pas les battre, rejoins les. C'est ce que je me suis dit. » Stalman devait s’épiler le menton tous les matins, sa voix avait mué et elle avait peur de ne jamais pourvoir avoir d’enfants. à la veille des JO de Los Angeles, l’athlète est arrêtée à la frontière entre le Mexique et les États-Unis avec huit cents tablettes de Winstrol, un anabolisant puissant utilisé par les vétérinaires.

Quelques histoires de dopage
Les sœurs (frères ?) Irina et Tamara Press


Des hommes se transformèrent en femmes. Médaillé de bronze à Montréal, l’haltérophile Peter Wenzel (RDA) se féminisa, sa poitrine se gonfla. Des documents de la Stasi, l’ancienne police secrète de RDA, le révèleront plus tard : durant toutes les années 1980, les haltérophiles est-allemands durent subir des ablations de leurs seins à cause des hormones qu’ils ingurgitaient pour améliorer leurs performances.


Le test de féminité fut abandonné en 2000. Jean-Pierre Mondenard, grand spécialiste du dopage, estime que, lors des jeux de Tokio en 1964, 27% des athlètes médaillées d’or n’étaient pas des femmes authentiques après prise de testostérone. Aujourd’hui, rien n’est simple dans la mesure où les transsexuels peuvent concourir après avoir été reconnus comme membre du sexe choisi et avoir subi deux années de thérapie hormonale.

On terminera sur quelque chose de plus léger, de plus aérien. Aux JO de Montréal, les responsables de la natation allemande (de l’ouest) firent une Kolossale découverte : pour améliorer la flottabilité d’un nageur, pour que sa ligne de flottaison soit plus haute, il suffisait de lui envoyer de l’air dans le cul. Disons 2 litres destinés à demeurer dans le gros intestin. Mais la technique fut abandonnée. Walter Kusch, un nageur qui avait remporté une médaille de bronze avec ses coéquipiers dans un relais, nageait trop haut, ses pieds battant hors de l’eau. De fait, c’est Napoléon en personne qui avait trouvé cette technique : quand des chevaux devaient traverser des rivières, on leur insufflait une vingtaine de litres d’air pour une meilleure ligne de flottaison.

On n’en aura jamais fini avec le sport de compétition. J’observe régulièrement des nageuses de 10 à 12 ans qui, comme certaines de leurs aînées, enfilent deux maillots l’un sur l’autre. C’est interdit mais c’est rarement repéré et cela permet de se prendre pour un aéroglisseur…

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