samedi 30 juin 2018

Le prof qui veut exister dans les jurys



Notez que j’ai écrit « le prof » et non « le.a professeur.e » car le vrai travers que je voudrais dénoncer ici concernent davantage les profs de sexe masculin que ceux de sexe féminin.

Au cours de ma carrière, j’ai participé à toutes sortes de jurys oraux, du certificat d’études pour jeunes prisonniers aux soutenances de doctorat. J’y ai bien souvent côtoyé, et donc subi, des collègues qui faussaient le bon déroulement des épreuves en tirant l’épreuve vers leur propre personne. Cela désarçonnait les candidats et obligeait les autres membres des jurys à des rétablissements complexes, ce dans la plus grande – quoique feinte – courtoisie.

J’ai souvent assisté à ces déviations dans des jurys de thèse. L’empêcheur de tourner en rond voulait à tout prix ramener sa science – même si l’intervention intempestive n’avait aucun rapport avec le travail du candidat – et, plus généralement, il prenait un malin plaisir à asphyxier les autres membres du jury en remplissant tout l’espace.

On m’a récemment rapporté deux exemples qui se sont déroulés à l’occasion de soutenances orales du dossier que les élèves de troisième doivent rédiger après un stage en entreprise ou dans l’administration. 

Un professeur d’histoire et géographie avait décidé d’imposer sa petite science personnelle. Le premier candidat avait rédigé un dossier très technique après une semaine passée dans un institut de recherches en mathématiques d’une université lyonnaise. L’adolescent avait découvert – et c’était l’axe de son travail – qu’alors que les mathématiques enseignées dans les écoles étaient données comme désincarnées et parfaitement stables (tel théorème étant présenté et appliqué une fois pour toutes), la recherche en mathématiques était produite par des chercheurs, des êtres de chair, de doutes, de fatigues, d’enthousiasmes, pour qui les échecs et remises en question étaient sources de progrès.

Á la fin de l’exposé, le professeur posa une question d’un intérêt phénoménal par rapport au travail de l’enfant qui, au cours de sa présentation, avait laissé entendre qu’il souhaitait faire une carrière dans les mathématiques. Il lui demanda qu’elle était l’influence de l’institut de recherche sur la métropole de Lyon. Une question relevant de l’aménagement du territoire, sa marotte secrète assurément, une interrogation à laquelle un adolescent de quatorze ans était spontanément habilitée à répondre…

Ce même prof sévit également avec un autre élève qui avait fait un stage chez un fournisseur d’accès à internet, spécialisé dans la communication. Il lui demanda, en présence de sa collègue du jury complètement effarée, qu’elle était l’influence d’un « like » sur la société !

Un mot sur le stage et la soutenance du rapport subséquent. Il s’inscrit directement dans la perspective du remplacement des savoirs par les compétences. Cette évolution nous vient des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne et a été imposée par l’entreprise privée. Je dirai, pour aller vite, que le savoir porte en lui un potentiel de contestation alors que les compétences sont la meilleure garantie de l’acceptation du système. La soutenance s’effectue devant des enseignants qui ne sont pratiquement jamais des spécialistes du sujet traité. Dans notre monde, cela n’a aucune espèce d’importance. On ne juge ni le savoir ni l’intelligence mais la com’, le pouvoir de convaincre, la manière de se vendre et de bonimenter. Les parents les mieux installés dans la société sont à même de trouver pour leurs enfants des stages particulièrement intéressants et enrichissants : il faut un certain entregent pour introduire son enfant dans un labo de l’École Normale Supérieure de Lyon. C’est plus gratifiant que de faire un stage chez le boulanger du coin. Les rapports de stage sont rédigés à la maison, 99 fois sur cent sous l’œil parental, ce qui favorise également les enfants des milieux éduqués.


Le prof qui veut exister dans les jurys

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