mardi 25 août 2020

Oradour, mon ami allemand et moi


Je voudrais dire quelques mots sur l’acte ignoble commis par une ou plusieurs crapules à Oradour-sur-Glane.

Mais avant, je souhaite aborder ce que l’on appelle désormais l’« ensauvagement » de (et dans) nos sociétés.

Que les immondes vandales d’Oradour soient d'extrême droite ou qu'ils se situent hors du champ traditionnel de la politique, qu'ils soient des immigrés ou pas, qu’ils soient blancs de peau ou colorés, je crois que j’ai eu raison d’alerter le mois dernier sur ces centaines de milliers d’individus en France, « seuls, déglingués et lourdement délinquants ». N’en déplaise à ceux qui, par une chochotitude aberrante, refusent de voir qu’il n’est plus la peine – pour reprendre le titre d’un célèbre roman sud-africain – d’attendre les barbares parce que les barbares sont là, certaines populations sont au bord de la rupture, comme en témoignent des actes individuels ou collectifs inimaginables il y a seulement trente ans.


Quelques exemples parmi cent autres qui montrent que quantité de gens autour de nous ont déjà franchi le pas, ne se soucient plus d’aucun repère ni d’aucune limite même s’ils n’ont pas insulté la mémoire d’enfants qui ont brûlé vifs dans un paisible gros village du Massif Central.

Le maire de Givors, d’origine nord-africaine mais né dans cette ville, est insulté anonymement : « Fous le camp bouboule si tu ne veux pas brûler comme une merguez. La guerre tu vas l’avoir, on sait encore se servir d’une mitraillette, tu sais comment ça fait une bombe dans une habitation, ça fait boum. »

Au cimetière de Lannemezan, des vandales saccagent 63 tombes car ils voulaient « pactiser avec le diable».

Près de Lyon, un homme jette son masque chirurgical à terre en sortant d’un bureau de tabac au lieu de le déposer dans une poubelle. Deux frères lui font observer à quel point cela est incivique. Le salopard rentre chez lui, récupère sa voiture et leur fonce dessus. Les deux frères sont grièvement blessés.

La mort de ce chauffeur d’autobus de Bayonne a ému la France entière. Lui aussi voulait faire respecter le règlement. Il a été tué lâchement par derrière.

Un quinquagénaire défèque sur le visage d’un octogénaire qu’il était venu cambrioler.

Un père de 38 ans, en compagnie de ses enfants, fait la queue sur un plongeoir au-dessus d’une rivière près de Montbéliard. Un adolescent lui passe devant. Le père lui demande d’attendre son tour. Le jeune essaie en vain de flanquer un coup de poing au trentenaire. Il ameute ses copains. L’un d’eux, muni d’un marteau de chantier, défonce la boîte crânienne du père de famille. Devant ses enfants, rappelons-le.

Un habitant d’Aniche de 88 ans demande à des « jeunes », vers 4 heures du matin, de faire moins de bruit devant sa maison. Les malfrats entrent chez lui, lui dérobent son argent liquide et le coincent sous son meuble télé en bois massif où il restera bloqué plusieurs heures.

Et je ne parlerai pas du calvaire qu’a enduré cette saison Palavas-les-Flots, une « si jolie petite plage », une des plages familiales et tranquilles de mon enfance.

Décidément, la peur du gendarme n’est plus le commencement de la sagesse. D'autant que les forces de “ l'ordre ”, sur ordre, sont elles aussi ensauvagées lorsqu'elles attaquent, avec une violence scandaleuse, des manifestants à qui elles crèvent des yeux, arrachent des mains ou brûlent des poumons.

Revenons à Oradour. Le 10 juin 1944, la division SS Das Reich tue 642 villageois. Les hommes sont rassemblés dans une grange et fusillés. Les soldats allemands enferment les femmes et les enfants dans une église avant d'y mettre le feu.


Oradour, mon ami allemand et moi
Oradour, mon ami allemand et moi
Photos BG


J’ai vécu il y a quelque temps pas très loin du village martyr. J’y ai souvent accompagné des parents, des amis. J’ai cessé le jour où j’ai surpris un vieux camarade anglais en train de prendre sa fille en photo devant l’une des voitures calcinées. « Devant la tour Eiffel, je comprendrais », lui avais-je dit, « mais dans ces lieux c’est limite. Les vivants ne doivent pas polluer ce théâtre de mort ».

Avant cela, j’y avais accompagné mon meilleur ami allemand. Né en 1938, ce spécialiste du théâtre élisabéthain qui est malheureusement en train de devenir aveugle, lui qui a lu 10 000 livres, avait de vrais souvenirs de la guerre, des bombardements alliés en particulier. Mais l’épisode qui l’avait le plus traumatisé avait été, en 1945, l’arrestation par la Gestapo de son père qui, directeur d’école, refusait d’accrocher le portrait du Führer dans ses classes. Ne voulant peut-être pas insulter l’avenir, les gestapistes l’avaient relâché le soir même sans l’avoir molesté. Mon ami garderait de cet épisode un bégaiement léger mais tenace.

Il va de soi que cette famille allemande n’avait absolument aucune responsabilité dans l’horreur nazie. Néanmoins, mon ami gardera longtemps – s’il l’a jamais perdu – un sentiment de culpabilité vis-à-vis de la France qu’il adore et de sa littérature qu’il chérit par dessus tout.

Un jour, de passage chez moi, il me dit : « j’aimerais que tu m’emmènes à Oradour ». « Tu n’y es jamais allé », lui demandai-je un peu surpris ? « Non car si j’y étais allé seul ou avec ma femme, j’aurais eu l’impression de commettre une effraction. Je ne peux m’y rendre qu’avec toi, mon meilleur ami français. » « Ce sera un honneur », lui répondis-je.

Nous marchâmes longuement dans Oradour, sans un mot. Devant les petits objets personnels (encriers, ciseaux, montres), il pleura.

Oradour, mon ami allemand et moi

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