mercredi 18 mars 2020

Ça chauffe à la revue Actes Sémiotiques


Vous avez comme cela des sociétés savantes regroupant quelques dizaines, quelques centaines de personnes. Pour le grand public, elles n’existent pas, ou alors elles sont très confidentielles. Mais leurs membres y travaillent d’arrache-pied. Sans être rémunérés, cela va de soi. Toutes ces sociétés contribuent à une meilleure connaissance de nous-mêmes et du monde.

Ces sociétés éditent des revues qui sont désormais le plus souvent en ligne. Gain de papier, moins de poussière sur les rayons des bibliothèques universitaires, accès facilité pour la communauté scientifique.

Dans la revue Actes Sémiotiques, éditée par l’université de Limoges, se joue actuellement un psychodrame qui aurait pu inspirer Claude Chabrol ou John Sturges. Le responsable de la publication, le professeur Jacques Fontanille, a proposé à ceux qui le voulaient d’offrir une critique constructive d’un article édité par ses soins. Trois contributeurs, les professeurs Éric Landowski de l’université de Vilnius, Per Aage Brandt de Case Western Reserve University et Jean-Paul Petitimbert de l’université de Limoges, se sont attelés à la tâche.

L’article critiqué ainsi que les trois contributions sollicitées sont restés en ligne quelques jours, pour ne pas dire quelques heures, avant que le professeur Jacques Fontanille les retire et publie le communiqué suivant :

« Nous nous devons d'informer nos lecteurs des récents événements survenus au sein des Actes Sémiotiques. Un problème de déontologie scientifique nous a imposé le retrait rapide des articles de la rubrique "Dialogue" de la livraison du n° 123. S'y trouvaient en effet des énoncés et procédés incompatibles avec les valeurs des Actes Sémiotiques, fondées sur l'échange et le débat, sans redouter la controverse. Dans tous les cas, cependant, la discussion implique le respect des personnes, notamment de leur style de pensée et d'écriture, a fortiori quand leur texte a été accepté pour publication. Des commentaires franchissant le seuil de ces valeurs avaient échappé à notre vigilance. D'où la décision du retrait immédiat après publication.

De tels événements font partie de la vie d'une revue, mais peuvent être évités à l’avenir par une réorganisation de la préparation et de l'évaluation des articles soumis. Nous informerons nos lecteurs, dès que possible, des suites de cet événement. »

J’ai lu tout le dossier très attentivement. Je ne suis pas linguiste, encore moins sémioticien, mais, il y a cinquante ans déjà, je me nourrissais d'A.-J. Greimas, qui a inspiré cette revue, ou d'Umberto Eco, linguiste respecté dans le monde entier. Je ne suis pas un spécialiste mais, depuis tout ce temps, j’ai appris à lire : j’ai lu et corrigé des thèses, des numéros de revues scientifiques et même un roman qui a obtenu le prix Goncourt. Ce, avec « vigilance », pour reprendre un terme du professeur Fontanille. Bref, je sais reconnaître les écrits de valeur.

Les textes des professeurs Petitimbert et Brandt, ainsi que la courte contribution du professeur Landowski, sont rigoureux, parfaitement argumentés, écrits sans colère – mais non sans une pointe d'ironie – et contribuent de manière indéniable aux débats scientifiques qui enrichissent les lecteurs de cette revue.

Dans son communiqué, Jacques Fontanille, que je lis et admire depuis longtemps, demande dans un même mouvement une lecture critique d’un article et empêche la discussion – certes implacable – au motif que l’article a été accepté par le comité de lecture malgré des réactions, cela dit, « fort mitigées ». Mais ce qui est peut-être le plus problématique à mes yeux, c’est qu’en faisant disparaître dans les flammes d’un “memory hole” des textes ayant nécessité un très gros travail et un authentique courage (il en faut pour penser à contre-courant), il a empêché la communauté des linguistes d’avoir accès aux pièces du dossier.


Ça chauffe à la revue Actes Sémiotiques

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