mercredi 23 novembre 2016

André Gardies. La Baraque du Cheval noir. Paris, La Différence, 2016



Il y a un monde d’André Gardies. Á la fois un monde perdu et un monde étonnamment présent dans la géographie physique et dans notre géographie personnelle. Un monde où des femmes portent encore des sabots à semelles de bois, où un vieux est à la fois « sabotier, guérisseur et sorcier », où l’on va chercher des girolles « en mobylette » avec le braconnier, un monde de nos frayeurs d’enfance et de nos désirs d’adulte.

Pour aller sous la surface des choses, pour rencontrer les mystères de la vie, de l’avant-vie, pour se trouver lui-même, André Gardies aime à mettre en scène un intercesseur qui, innocent, va découvrir avec lenteur la vérité de son archéologie (au besoin en utilisant lui-même un intercesseur en second), mais dont l’inconscient sait, ce qui permet, dans le cas de cet ouvrage en particulier, d’avancer plus vite que le narrateur, et donc de s’annexer le lecteur.

L’auteur Jacques Torrant s’installe « au cœur » du Massif Central (le cœur de cette montagne n’étant évidemment pas qu’une donnée géographique), dans une ancienne ferme isolée, « à la lisière d’une forêt ». Le cœur, la lisière, toujours cette indétermination qui permet tous les possibles. La ferme est louée par l’administration des Ponts et Chaussées (qui appartient, elle aussi, au monde perdu de Gardies). Il va tenter de percer le mystère de la mort « mystérieuse » de son oncle Paul, en évitant le « Trou du péché » (lo Trau dau pecat). Cette enquête progressera face à l’hostilité de nombreux habitants, dans une nature belle et sauvage, porteuse de mystères parfois effrayants. Dans le monde fictif de Torrant (comme dans celui de Gardies ?), l’obscurité est inquiétante car inexpliquée, comme pour les enfants. Elle avale, comme la tourbière qui tue mieux que des sables mouvants. La mollesse est à la fois douceur et hostilité. Même le coton est oppressant.

Note de lecture (163)

Á de nombreuses occasions, le personnage prend directement en charge la narration. Habile, fort bien agencé, le procédé joue, selon moi, contre lui-même car le récit va alors trop vite. C’est par cette narration seconde que Gardies fait passer ce qu’on appelle communément les « messages ». Comme, par exemple, ce qui a trait au désir ou, plus exactement, ce qui surprendra à peine, à sa négation : « Ne cherchez pas, nous disent-elles, notre corps, notre chair, notre désir se sont effacés pour que s’efface de votre œil l’éclat de votre lubricité. Un pays où l’érotisme est banni, inlassablement pourchassé […] Quelle faute a donc commis ce pays pour qu’un dieu terrible ait asséché le ventre et les seins des femmes de leur douceur enivrante ? ». Allons André, La Panouse n’est pas Téhéran. Moi qui ai passé une partie de mon enfance dans un village du Lot-et-Garonne, j’affirme que, là comme ailleurs, ça retroussait et détroussait à qui mieux-mieux dans les années cinquante et soixante. Et pourquoi donc les hommes auraient-ils le privilège d’une sensualité exacerbée, comme dans ce passage très troublant : « Depuis ce matin, il me semble à nouveau sentir un parfum doux, entêtant et légèrement acidulé, venu de l’enfance au mas, celle des pommes que l’on conservait au grenier. J’aimais me glisser en secret dans la pénombre parfumée de la vaste pièce pour m’abandonner à la caresse sucrée des fruits amollis et tendres. » ? Ne nous inquiétons pas : Adam trouvera bientôt son Eve, une femme jeune et, comme souvent chez l’auteur, au dos bien cambrée et à la poitrine ferme et généreuse.

Il y a comme toujours chez Gardies les descriptions époustouflantes d’un écrivain qui fait corps à la fois avec la langue française et avec ce qu’il évoque avec puissance : « Il approche du chaos colossal qu’on voit depuis la maison et qui barre la vue. D'énormes blocs arrondis par l’érosion ont été catapultés tout autour de lui comme des boulets géants. Tous habillés d’un lichen verdâtre sur leur face nord. Certains balafrés par la colère de la foudre, d’autres fendus sous l’étreinte du gel, plusieurs empilés les uns sur les autres par un gigantesque carambolage. » Moi qui connaît un peu ces lieux pour de vrai, je l’affirme : c’est exactement cela.

En bref, une intrigue rondement menée, une histoire très touchante où André Gardies, par delà le monde d’en haut hostile et violent et le monde d’en bas inexplicable et déstabilisant, nous demande de croire en nous-mêmes et de saisir nos démons à bras-le-corps.

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