mercredi 30 novembre 2016

Daniel Pantchenko. Léo Ferré sur le boulevard du crime



Un ouvrage chaleureux, celui d’un connaisseur rigoureux, sur le créateur de “Jolie môme”, plus précisément sur sa longue relation avec le TLP-Déjazet.

Le 1er février 1986 le chanteur inaugure le TLP-Déjazet, baptisé « Théâtre Libertaire de Paris » par ses amis anarchistes. Ce théâtre à l’italienne, à l’acoustique exceptionnelle (Mozart y joua devant Marie-Antoinette), constitue le dernier vestige du Boulevard du Crime que Prévert, Carné et Trauner ont immortalisé dans Les Enfants du paradis (le lieu fut un bordel sous Charles X). Ferré disait qu’il se produisait volontiers à Déjazet parce que c’était « des copains » avec qui il ne signait même pas de contrat.

Léo Ferré voit le jour en 1916 à Monaco d’un père directeur du personnel du casino et d’une mère couturière. Ses parents, qui s’appellent Joseph et Marie, le mettent en pension dans une institution catholique italienne. Il est alors de nationalité française. La monégasque viendra plus tard. Très doué pour la musique, il prend, enfant, des cours avec un élève de Scriabine. Il chante dans le sud-est avant de monter à Paris sur les conseils d’Édith Piaf. Il débute au Bœuf sur le toit dans le spectacle des Frères Jacques et du duo Roche et Aznavour. Il fait la rencontre décisive de Jean-Roger Caussimon, dont il n’admettra jamais « psychologiquement » le décès. Le 11 novembre 1946, il participe à un gala de la Fédération anarchiste et de sa revue Le Libertaire dont le secrétaire de rédaction n’est autre que George Brassens. En mars 1947, il signe un contrat avec le plus ancien label français encore en activité, Le Chant du Monde, une maison de disque proche du Parti communiste (elle est l'éditrice, et donc propriétaire des droits, de “Plaine ma plaine”, “L’Internationale”, “La Danse du sabre” de Katchatourian). Le 29 avril 1954, Léo Ferré dirige pour la première fois un orchestre symphonique qui joue ses propres œuvres, grâce au prince Rainier de Monaco. Deux semaines plus tard, il est engagé à l’Olympia.

Après avoir mis en musique Les Fleurs du mal en 1957, Ferré crée un pur chef-d’œuvre en 1961 en mettant en musique Aragon (“L’Affiche rouge”, “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?” etc.). La même année, entre dans sa vie la guenon Pépée, au désespoir de sa belle-fille Annie. Ni Léo ni sa femme Madeleine n’ont tenu compte de l’avertissement du vendeur : « Encore plus qu’un autre animal, il faut qu’un champanzé sache qui est le maître, sinon vous allez au désastre ». Madeleine fera tuer cet animal devenu tyrannique de deux balles en plein front, ce qui précipitera l’explosion du couple.

En 1967, Ferré entre en conflit avec Barclay. Il a enregistré sur son dernier disque “Á une chanteuse morte” dédié à Édith Piaf, où il s’en prend à Mireille Mathieu et surtout à son mentor Johnny Stark. Barclay sort le disque sans la chanson. Ferré demande à ses admirateurs de ne pas acheter le disque tronqué.

Pour diverses raisons, Léo Ferré passe un peu à côté de Mai 68. Ses barricades à lui étaient dans sa tête depuis toujours. Il a été subjugué quelques mois plus tôt par les Moody Blues et leur chanson “Nights in White Satin” qui a plus de succès en France qu’outre-Manche. Il leur rend hommage dans son très célèbre et passablement érotique “C’est extra” : « C'est extra Un Moody Blues qui chant'la nuit / Comme un satin de blanc marié / Et dans le port de cette nuit / Une fille qui tangue et vient mouiller ». En octobre 1970, il sort son plus grand succès commercial : “Avec le temps”, inspiré par son amour perdu avec Madeleine. Cette chanson a été depuis reprise dans le monde entier.

Il s’installe en Toscane et épouse Marie-Christine, sa dernière compagne qui lui donnera trois enfants.

Le 1er février 1986, le TLP-Déjazet ouvre ses portes. Léo est là, pour ses «copains». Il donne son dernier concert le 13 septembre à la Fête de L’Humanité, invité par Bernard Lavilliers. Il chante “Les anarchistes” et se rattrape avec “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?”.

Léo ferré s’éteint le jour de la Fête Nationale  de 1993, dernier clin d’œil anarchiste.

On relèvera pour finir que ce livre est parsemé de photos magnifiques du chanteur, de plusieurs entretiens avec l’auteur du livre, de témoignages très touchants de sa femme, de son fils, de Raphaël, le fils de Jean-Roger Caussimon, de Bernard Lavilliers, de Julien Clerc, de Monique Le Marcis (ancienne directrice de la programmation musicale de RTL) et de Jean-Michel Boris (ancien directeur de l’Olympia. On visionnera le CD qui accompagne le livre (récital du 8 mai 1988).


Paris, Le Cherche Midi, 2016
Note de lecture (164)

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