jeudi 13 avril 2017

Une étrange histoire


Je ne sais plus quel généalogiste a dit que toute famille compte un roi et un pendu. Peut-être est-ce Jean-Louis Beaucarnot, qui avait écrit un livre formidable sur les ascendants de nos politiques, dont j’avais rendu compte il y a six ans de cela.

Alors, aujourd’hui, je propose une note très personnelle qui complète une plus ancienne de 2011. La généalogie ne m’intéresse pas particulièrement. Je ne me suis jamais plongé dans les registres poussiéreux des paroisses du Pas-de-Calais et de l’Oise, départements d’origine de mes parents. Je ne suis non plus jamais allé me perdre sur internet grâce aux sites spécialisés en la matière.

Dans la famille de ma grand-mère paternelle, il y a toujours eu quelque chose de bizarre. Pas un secret de famille, plutôt un questionnement. Juste après la Première Guerre mondiale, ma grand-mère convole avec un rescapé de la grande boucherie, récent instituteur, fils de paysans très modestes. Nous sommes dans le Boulonnais, plus précisément dans le canton de Desvres, une petite ville connue pour sa faïence, sa métallurgie et son ciment (depuis 1982, la ville s’est fortement désindustrialisée, perdant plus de 60% des employés de son secteur secondaire). Il s'agit d'une région de bocages, un peu vallonnée. Il n’y a pas de grandes exploitations agricoles comme on en trouve dans la Picardie toute proche. Or mes arrière-grands-parents sont des paysans riches. Vraiment riches. Dans les années 1930, mon arrière-grand-père possède une automobile. Ma grand-mère, née en 1900, reste à la maison après avoir réussi brillamment le certificat d’études (soixante-dix ans plus tard, elle écrira toujours dans un français précis, sans la moindre faute), dans l’attente (patiente) d’une demande en mariage, mais un précepteur vient plusieurs fois par semaine lui donner des cours de français et de mathématiques. Enfant, cette même grand-mère n’a jamais lavé une cuiller ou fait un lit. Vivaient à demeure dans la ferme une cuisinière, une femme de ménage et un commis. Lorsqu’elle épousera mon grand-père, elle apportera en dot un corps de ferme et une bonne dizaine d’hectares. Et elle assumera, seule, toutes les tâches ménagères, les courses, sans oublier sa part de jardinage.

Je me demandais parfois d’où venait cette richesse mais je n’osais interroger quiconque de peur de froisser ou de faire sortir un énorme squelette du placard. Et puis, pour ajouter un questionnement en second au grand questionnement, il y avait la fameuse Dina, la grand-mère maternelle de ma grand-mère, d’origine portugaise. Que diantre des Portugais seraient-ils allés faire dans le Boulonnais ? Personne, parmi mes aïeux mâles, n’avait à son actif la moindre campagne coloniale africaine, portugaise, brésilienne, que sais-je ? d’où il aurait ramené ce fruit exotique. J’informerais donc mes enfants qu’ils avaient quelques gouttes de sang portugais dans les veines. En tout état de cause, ma grand-mère corroborerait ces faits qui me turlupinaient quelque peu : aisance et Portugal.

Il y a quelques années, une cousine, qui possède de nombreuses archives familiales, m’envoie une photo de Dina. En la découvrant, je me dis que, décidément, quelque chose cloche. Bien sûr, il ne faut pas trop se fier aux phénotypes, aux « races », mais Dina fait davantage penser à une citadine de de Hooch qu’à une paysanne de l’Algarve. Et, assurément, sa coiffe est d’un certain prix. 

Une étrange histoire
Cette cousine me fait également parvenir quelques photos de notre arrière-grand-mère – la fille de Dina – jeune et moins jeune. Á l’évidence, il ne s’agit pas d’une paysanne de base mais d’une dame plutôt distinguée. La photo d’elle à l’âge avancé rend compte que l'arthrose n'empêchait pas le tricot.
Une étrange histoire
Une étrange histoire
Quant à mon arrière-grand-père – Dieu soit loué, il ne nous a pas transmis son strabisme convergent, les mystères de la génétique sont insondables pour les profanes ! – il fait plus penser à un directeur d'école ou un clerc de notaire qu'à un brave paysan.
Une étrange histoire

Bref, je ne suis guère plus avancé, d’autant que tous les membres de la famille qui auraient pu savoir quelque chose sont décédés.

Un miracle se produisit tout récemment. Un généalogiste, amateur mais obstiné, et qui m'était très vaguement apparenté, m’écrivit pour me demander un petit renseignement sur mes parents. En échange, il m’envoya une masse de documents sur mes ancêtres grâce auxquels le mystère allait être résolu.

D’abord, pas plus de Portugaise que de beurre en broche. Le nom de jeune fille de mon aïeule était tout simplement Flahaut, un patronyme courant dans le nord de la France, d’origine germanique et qui signifie gouverner dans la pureté (fletswaldan). Et le nom de sa mère était tout bêtement Roussel. Pourquoi ma grand-mère, mais aussi mon père nous avaient-ils raconté ce bobard pendant des dizaines d’années ? Mystère et boule de gomme. Mais le plus époilant (comme écrivait Proust dans Le Côté de Guermantes) c’est que la brave Dina, qui mourra en 1936 à l’âge de 84 ans, était noble ! Petite noblesse, assurément, mais tout de même. Son père était Jacques Marie Amédée Flahaut de la Barre (1823-1858), fils de Jean-Marie Flahaut de la Barre né en 1793. Et Jean-Marie était le fils de Jean-Marie (quelle originalité !) Flahaut de la Barre, sieur de la Barre, de la Houssoye, d’Évion, Tumière. Le registre d’état-civil faisait de lui un « propriétaire, cultivateur ». Son père n’était autre que Bartélémi Flahaut de la Barre, « Écuyer, sieur de la Barre, de la Houssoye [La Houssoye est un petit village de l’Oise], d’Évion, Tumière et autres lieux » (1708-1786), lui-même fils de Jean-Baptiste Flahaut, « Sieur de La Houssoye » (1662-1741). Jean-Baptiste était le fils de Jean Flahaut, « Sieur de La Houssoye », mort en 1675, lui-même fils de Pierre Flahaut, né en 1590, mais pas sieur pour deux sous.

Nous basculâmes donc de la roture à la lumière au XVIIe siècle. Pourquoi avoir caché cela ? Pourquoi ces petits quartiers de noblesse ? Je ne le saurai jamais. L’explication du paysan riche (en fait, sa femme plus que lui) était toute simple : une patiente accumulation de richesses par la terre (la famille compta un notaire en son sein au XIXe siècle, ce dont je n'avais jamais entendu parler). Enrichissement classique, et non, comme je l’avais fantasmé et redouté, un trafic de je ne sais quoi (des épices, du tabac, pas des esclaves, tout de même !) vers les Flandres ou l’Angleterre.

C’est donc parce que la bonne Dina épousa un roturier, un Auguste Bernard mort à 35 ans en 1886, que nous nous sommes séparés de la branche des Flahaut de la Barre.

J’aimerais énormément que nous fussions apparentés à l’héroïque chevalier François-Jean Lefebvre de la Barre mais il ne faut peut-être pas trop en demander. Je n’ai pour l'instant aucune preuve tangible d'une relation aussi prestigieuse. Je suis sûr que Jean-Louis Beaucarnot va me renseigner.

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